La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : L'insertion objet de demande ou d'assignation ? Décrochage : comment raccrocher ?


Titre : Du sujet épistémique au sujet de l'histoire dans l'école française : quel cadre conceptuel ?
Auteurs : BELHANDOUZ Halima / CARPENTIER Claude

Texte :
Exposé de la problématique
Quel est le sens donné à la notion de sujet dans l'école française ? Notre hypothèse est qu'elle puise ses fondements épistémologiques non seulement dans le prolongement des théories générales anthropologiques, sociologiques et psychologiques... contemporaines qui ont démontré le lien intime qui unit l'individu à son milieu mais également dans l'histoire locale idéologique, politique et sociale française.
A ce second niveau, la pensée philosophique du siècle des Lumières relayé idéologiquement et politiquement par l'instauration d'un système républicain basé sur l'égalité citoyenne a profondément marqué la compréhension du sujet scolaire en l'inscrivant dans une dimension universelle.
Cet aspect a amené à la construction et à la valorisation  d'un « objet-élève » dépouillé de toute particularité sociale et culturelle, façonné par des valeurs universelles. La laicité notamment est une de ses valeurs, garante entre autres de l'idée maîtresse du système républicain de l'égalité de tous et de chacun devant le savoir.
Ce modèle de pur sujet épistémique sans culture ni histoire, particulièrement actif dans le grand chantier social que fut la Troisième République, a pu perdurer dans des contextes socio-démographiques et culturels d'une relative homogénéité. Deux phénomènes socio-politiques d'envergure vont enrayer cet état des choses :

d'une part, le collège unique et la massification de la fréquentation scolaire qu'il a induite favorisant une mixité sociale, jusque là théorie pratiquement utopique, mais depuis souvent déjouée par les stratégies éducatives des familles.
d'autre part, un pluriculturalisme ethnique consécutif à la pérennisation en France d'une mosaique de populations issues essentiellement des anciennes possessions coloniales et porteuses d'histoires politique et sociale, à la fois croisées par le fait colonial et différenciées dans leurs assises culturelles.

C'est, en particulier, sur ce dernier plan que nous posons la question de la nature du sujet à l'école française. Quel regard et quelle place l'institution accorde-t-elle à la dimension sociale, culturelle et historique notamment pour une partie non négligeable du public scolaire marqué par l'héritage colonial ?

Dans l'état actuel des recherches sur le sujet scolaire, c'est essentiellement le paradigme social qui est investigué ( Rochex, Bautier...) à travers la notion de rapport au savoir. Très peu d'études s'intéressent à la configuration très complexe qui organise les rapports à l'école de sujets scolaires historiquement inscrits dans un contexte de domination. En d'autres termes, comment l'institution éducative scolaire à travers ses contenus, ses protocôles méthodologiques conçoit-elle et construit-elle son lien à l'histoire politique et sociale qui configure  son public ?

Les deux études de cas suivantes nous semblent révélatrices de la permanence d'un sujet scolaire perçu dans son universalité (abstraite ou formelle) davantage que dans son insertion dans une histoire. Il nous apparaît important d'analyser les raisons de cette pérennisation  tant elle hypothèque pour une partie conséquente des publics scolaires dits issus de l'immigration les chances de réussite et, à plus grande échelle la paix sociale.

2. Exposé de deux contextes d'expression de sujet épistémique :

Les deux études suivantes qui ont fait l'objet de publication ont montré l'étroite corrélation entre image de soi et identité sociale et processus de décrochage scolaire.
Dans un cas, il s'agit d'une recherche sur la problématique de l'absentéisme des collégiens de la population dite franco-musulmane ou harkie dans un collège d'Amiens Nord. Nous avons montré le lien entre absentéisme, décrochage et mutisme de l'histoire scolaire à leur sujet dans la genèse de la composante sociale française . Ce silence de l'histoire officielle à leur égard est un des facteurs constitutifs d'une identité harkie, marquée d'opprobre et  manifestée par des représentations de soi et d'une identité sociale négatives.
Les collégiens avaient signifié leur éloignement progressif d'une école et d'une culture dans laquelle ils disaient ne pas se reconnaître et de là, ne pas pouvoir se projeter.
Dans une seconde étude, nous avons montré combien le rapport  aux études et à l'institution scolaire était en lien étroit intime avec le contexte historique de l'arrivée en France. Notre analyse d'une population scolaire, en l'occurrence le public du DAEU ( diplôme d'accès aux études universitaires), originaire d'Afrique de pays anciennement sous domination française  a mis en évidence deux modèles de raccrochage aux études et partant d'identités individuelle et sociale différenciées. D'une part, apparaît une tendance marquée à l'abandon de la formation chez des stagiaires nés et scolarisés en France , d'autre part nous avons isolé un second groupe composé d'individus arrivés déjà adultes avec un capital culturel scolaire différent des premiers. Les entretiens menés dans le cadre de ces deux groupes déterminés par
la variable de l'histoire de leur construction individuelle et sociale en France ou dans le pays d'origine ont montré pour les premiers, des sujets encore héritiers à travers la mémoire et le vécu de leurs parents d'un passé colonial de domination symbolisé par le terme « immigré ». Ce dernier exprimant marginalisation géographique, sociale et politique et stigmatisation. Quant aux seconds, ils ont revendiqué une identité « étrangère » et non « immigrée », expression de la rupture historique avec l'ancien système colonial. Leur rapport aux études est marqué par d'habiles stratégies et d'importants projets de consumérisme scolaire.

3.L'obstacle épistémologique
Ces deux recherches empiriques ne font état que d'une infime parcelle de cette nébuleuse du passé colonial français dans la constitution des sujets , aussi bien chez les anciens dominés que les anciens dominants. Il est encore enfoui dans les mémoires et timidement inscrit dans l'histoire officielle.
  Or, les analyses classiques des phénomènes d'échec et de décrochage scolaire gagneraient à prendre en considération ce paradigme.
Actuellement en France, on assiste à une forte émergence d'études dites « interculturelles» mais fort peu prennent en compte cette empreinte particulière du passé sur les sujets ; en raison peut-être du silence politique qui entoure la question coloniale. Cette occultation constitue un obstacle épistémologique non négligeable dans la compréhension de la notion du sujet scolaire en France.

4.
Conséquence : Euphémisation, métaphore et histoire
   Une autre source de complexité est constituée par le registre sémantique utilisé pour désigner une réalité que les mots désignent sans la nommer.
-    Du point de vue de la sociologie urbaine, on parlera des banlieues ou des cités pour désigner la population immigrée ou « issue de l'immigration » qui y vit
    -    Du point de vue de la psychologie ou de la psychologie sociale, on parlera des jeunes ou des bandes
      Au-delà de cette euphémisation se profilent les « immigrés » et leurs filiations dans une connaissance approchée qui englobera par exemple antillais et autres. Cette euphémisation dissimule  en dernière instance les pauvres et les déclassés que le marxisme désignait en son temps comme classe prolétarienne, victime de paupérisation relative ou absolue (cette dernière ayant été écartée au profit de celle, plus « topographique » d'exclusion ou de marginalisation). De toute évidence, la substitution n'est pas anodine car elle permet l'occultation des rapports sociaux.  
Dans cet imbroglio sémantique, comment Dieu y reconnaîtrait-il les siens, s'il ne décrypte pas la référence voilée à l'histoire, et plus particulièrement ici à l'histoire coloniale et à ses séquelles ou héritages qui fait que l' « immigré » n'est pas un « étranger » comme les autres. ?
Les effets de cette abstraction du sujet se traduisent au niveau notionnel par un flou sémantique et une absence d'outils d'analyse déjà relevés par certains analystes (De Rudder V., Tribalat M.).

5. Quelques éléments de comparaison internationale
La recherche anglo-saxonne, d'Amérique du Nord en particulier, explore depuis un certain temps déjà cette dimension chez les populations noires, déplacées par l'esclavagisme. Elle est théorisée notamment dans un champ disciplinaire et méthodologique dénommé Anthropologie de l'éducation qui explore les incidences de cet héritage dans la constitution des identités individuelles et sociales et du rapport au savoir scolaire. Elle a forgé un ensemble d'outils conceptuels permettant des approches fines de la problématique du sujet individuel et collectif dans les processus de socialisation.

  En ce qui concerne le Quebec, le recueil officiel des statistiques scolaires (1999) présente l'originalité, par rapport à la France, de prendre en considération dans le dénombrement des élèves de l'enseignement général les langues maternelles (identification linguistique distinguant les locuteurs autochtones des autres locuteurs en arabe, italien, espagnol, kurde...). Dans ce pays d'immigration, la désignation de l'immigré comme tel n'a pas à être faite. La seule différenciation par la langue rend compte de la multiculturalité linguistique. Le dénombrement par le lieu de naissance donne une représentation géographique de la provenance des individus. Parler ici d'étrangers serait incongru. Enfin, l'analyse en terme d'appartenance sociale est strictement impossible, cette variable ne paraissant pas relever des intérêts sociaux des responsables et par voie de conséquence de ceux des statisticiens.

    En ce qui concerne l'Afrique du Sud, placée dans une situation diamétralement opposée à celle de la France d'indifférence aux différences, la sortie de l'apartheid ne va pas sans paradoxe. Sous l'apartheid, la statistique officielle ne connaît que la division explicite entre groupes raciaux (noirs, blancs, métis, indiens/asiatiques). Bien qu'officiellement abolie lors du changement politique, l'ancienne nomenclature (dans le domaine scolaire ou non) reste en usage, essentiellement pour deux raisons. En premier lieu, si l'on cherche à évaluer les évolutions et les progrès de la lutte contre les inégalités, il faut pouvoir comparer avec le passé. Ce qui implique une relative continuité dans les instruments de mesure. On assiste ainsi à un phénomène analogue à celui décrit ci-dessus : la métaphorisation du « noir » qui désigne le pauvre pour l'essentiel. La seconde raison est constituée par la faiblesse des catégories statistiques désignant les rapports sociaux. Cependant, un certain nombre d'enquêtes récentes à caractère quasi-officiel ont introduit une échelle de mesure de la pauvreté (LSM ou Living Standards Measures) qui permet d'affiner assez considérablement les données de la statistique. On apprend ainsi qu'en 1998, le groupe le plus riche de la population ne comporte que 6,5 % de noirs (qui constituent les 75 % de la population totale) alors que le groupe le plus pauvre est composé à 99,5 % de noirs. Historiquement, les groupes « raciaux » en Afrique du Sud apparaissent moins comme une dimension culturelle, ethnique ou linguistique (sur les 11 langues officielles que compte le pays, 9 sont africaines) que comme synonyme de l'appartenance à un groupe social.



















  





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