Les parents et les intervenants de la santé acquièrent des savoirs
lors de l'intervention auprès de la personne ayant une déficience.
Ceux-ci sont toutefois difficiles à identifier puisqu'ils sont inhérents
à l'expérience de chacun auprès de la personne ayant une
déficience. Une étude rétrospective des apprentissages
a été menée auprès d'intervenants qui ont été
formées au programme d'intervention familiale PRIFAM et de parents ayant
donné naissance à un enfant atteint de trisomie 21 qui ont participé
au programme (Pelchat, Lefebvre, Proulx, Bouchard, 2001). Les parents ont affirmé
que le PRIFAM les a aidés à améliorer leur capacité
à solutionner les problèmes suscités par la situation de
stress, ce qui a favorisé leur adaptation à la vie avec leur enfant
ayant une déficience. Les intervenants ont constaté avoir acquis
de nouvelles compétences professionnelles et personnelles qui améliorent
leur pratique auprès des familles.
Le PRIFAM permet de développer un lien très fort dans l'intervention
grâce à la collaboration entre les partenaires. Elle apporte une
meilleure connaissance de la relation éducative entre les familles vivant
une situation de stress intense et les intervenants impliqués. Le programme
PRIFAM sera brièvement présenté, suivi de la méthode
et des résultats de l'étude.
PROGRAMME DE FORMATION ET INTERVENTION PRIFAM
Description du programme PRIFAM
Le programme d'intervention familiale PRIFAM développé par Pelchat
(1989) en partenariat avec des familles d'enfants atteints d'une déficience
et appliqué lors d'une étude longitudinale par des infirmières
dès la naissance de l'enfant (Pelchat, Ricard, Lefebvre, 2001). Le partenariat,
fondement relationnel du PRIFAM, est un lieu privilégié pour l'appropriation
des compétences et mène à l'autodétermination. Il
offre aux intervenants l'occasion de réfléchir sur leur pratique
et de coordonner leurs interventions avec les familles dans un partage de responsabilités
menant à l'acquisition de nouveaux savoirs (Pelchat, Lefebvre 2001).
Fondé sur une philosophie du soin à la famille, ce programme d'intervention
systémique vise l'autonomie de la famille, la valorisation et l'actualisation
de ses ressources et l'appropriation de compétences utiles à son
adaptation et à sa transformation ainsi qu'à la prise en charge
de l'enfant (Pelchat, 1995). De plus, il fournit aux intervenants les outils
nécessaires pour intervenir auprès des familles.
Fondements théoriques
Le PRIFAM s'inspire de diverses théories et approches. La théorie
psychodynamique de la crise dans un contexte de deuil (Lindemann, 1944 ; Caplan,
1964) qui repose sur le postulat que l'être humain s'efforce de maintenir
un état d'équilibre interne à l'aide d'un répertoire
de comportements d'adaptation et de techniques de résolution de problèmes
; la théorie du stress et de l'adaptation (Lazarus, Averill, & Opton,
1974) qui suppose que ce n'est pas l'événement en soi mais sa
signification pour l'individu qui détermine le niveau de stress; la théorie
du stress familial (Boss, 1988) qui tient compte de trois variables : l'événement
déclencheur, les ressources ou les forces de la famille au moment de
l'événement, et la signification que celle-ci lui attribue; l'approche
systémique et les trois principes fondamentaux d'entrevue familiale :
la formulation d'hypothèses, la neutralité et la circularité
(Selvini-Palazzoli, Boscolo, Cecchin, & Prata, 1980); le partenariat : modèle
relationnel entre les familles et les intervenants (Bouchard, 1999; St-Arnaud,
2001).
Formation à l'application du PRIFAM
Le programme de formation à l'application du PRIFAM comporte un volet
théorique et un volet pratique. De plus, un site Internet www.//scinf.umontreal.ca/famille
en lien avec celui de l'Infirmière Virtuelle rend la formation accessible
aux intervenants des régions éloignées et de toute la francophonie.
Ce site en plus de comporter des informations théoriques permet aux intervenants
et aux formateurs de communiquer entre eux.
Le volet théorique consiste en une formation théorique intensive
portant sur les théories du PRIFAM et les principes de l'intervention
familiale systémique auprès de familles vivant une situation de
stress ainsi que sur les principes d'autodétermination et d'appropriation
de compétences par la famille dans la prise en charge d'un enfant ayant
une déficience (Dunst, Trivette et Deal, 1988). Le PRIFAM fait réfléchir
les intervenants sur leur pratique professionnelle, leur permettant d'évoluer
vers un plus grand respect et une ouverture face à ce que vivent les
familles.
Le volet pratique consiste en l'application du PRIFAM auprès des familles
et le suivi des intervenants lors de rencontre rétroactive de groupe.
L'intervention consiste en une série de rencontres avec la famille qui
peuvent se poursuivre tant que les familles en expriment le besoin. Les rencontres
de groupe comprennent des séances de rétroaction hebdomadaires
puis mensuelles pendant toute la durée de l'application du programme.
Ces rencontres visent l'introspection et la réflexion en groupe sur la
pratique, les valeurs, les attitudes, les croyances et les préjugés
concernant la famille et la déficience de l'enfant. Ce partage mutuel
est l'occasion d'évoluer au plan personnel. Il résulte en des
apprentissages dans la réciprocité (Bouchard, 1999).
Le partenariat favorise l'émergence des savoirs
Les familles sont plus qu'avant réticentes à se laisser imposer
le savoir d'expert. Étant mieux informées, elles sont davantage
critiques face aux informations transmises par les professionnels (Schön,1992).
Elles désirent participer aux décisions qui les concernent, et
réclament que leur point de vue soit considéré (Stonestreet,
Johnson et Actone,1991). Dunst et Paget (1991) définissent le partenariat
comme une association de deux ou plusieurs individus dans la poursuite d'un
but ou d'un intérêt commun. Dans le développement d'une
relation de partenariat, plusieurs conçoivent que les intervenants développent
de nouvelles habiletés en interdépendance avec les familles et
reconnaissent l'importance des partenaires extra-familiaux (Bronfenbrenner,
1986 ; Hobbs, Dokecki, Hoover-Dempsey, Moroney, Shayne, Weeks, 1984 ; Panitch,
1993) pour le développement intra-familial. Une approche axée
sur une mise à contribution des savoirs et des compétences respectives,
tel le partenariat, paraît donc particulièrement indiquée
afin de tenir compte des réalités de chacun.
MÉTHODE
Cette étude qualitative s'inscrit dans la tradition des recherches interprétatives
de type exploratoire (Van der Maren, 1995). La méthodologie qualitative
permet une démarche signifiante de reformulation de témoignages
ou d'expériences (Paillé, 1994; Mucchielli, 1996). L'étude
amène les participants (infirmières et parents) à s'exprimer
en rétrospective à propos des savoirs qu'ils ont acquis lors de
l'application du PRIFAM, soit deux à trois années après
l'intervention PRIFAM.
Echantillon
La population à l'étude est celle de couples de parents ayant
donné naissance à un enfant atteint d'une trisomie 21 et leur
infirmière-intervenante. Dix-huit (18) parents ayant bénéficié
de l'intervention et quatre (4) infirmières formées au PRIFAM
ont participé à l'étude.
Cueillette des données
Les entrevues, d'une durée moyenne de 90 minutes, enregistrées
sur bandes audio et transcrites, ont été effectuées. L'entretien
semi-structuré donne accès à des données susceptibles
d'informer sur les pratiques et les façons de penser des participants
(Poupart, Groulx, Mayer, Deslauriers, Laperrière, Pires 1998).
Analyse des données
Une analyse initiale a été réalisée à partir
de thèmes émergeant du corpus et des écrits. L'analyse
a progressé selon un mode au départ inductif, puis déductif.
Une typologie des savoirs réalisés par les parents et les infirmières
a émergé et s'inspire des travaux d'Artaud (1989).
RÉSULTATS
Le PRIFAM offre aux familles et aux intervenants l'occasion d'acquérir
des savoirs théoriques qui sont des acquisitions cognitives nouvelles
réalisées par les parents. Il ressort aussi que le PRIFAM permet
d'éprouver les capacités réflexives des familles sur l'expérience
de vie au quotidien avec l'enfant ayant une déficience et aux intervenants,
l'opportunité de réfléchir sur leur pratique professionnelle.
Des savoirs d'expérience sont acquis dans l'action et issus de l'interaction
entre toutes les personnes impliquées dans la vie avec l'enfant. Tout
au long de l'intervention, intervenants et familles sont placés en situation
de réfléchir dans un va et vient continu sur les événements
qui composent la vie au jour le jour avec l'enfant ayant une déficience.
Le PRIFAM conduit aussi à l'acquisition de savoirs de transformation
qui réfèrent à un changement émanant de l'intérieur
de la personne au plan des valeurs, des croyances et des connaissances. De ce
changement, résultent des savoirs qui sont transposés dans d'autres
situations de la vie. Selon Kolb (1984), la connaissance surgit à travers
une transformation de l'expérience et se développe à travers
le processus d'adaptation qui se réalise en transformant ce qui nous
entoure. L'apprentissage dans le cadre du PRIFAM se réalise par le développement
des habiletés à vivre des expériences, à les conceptualiser
par la suite et à s'engager personnellement dans de nouvelles expériences.
Conditions d'acquisition des savoirs
Certaines conditions doivent être en place pour permettre l'acquisition
de savoirs dans le partenariat. Le partage réciproque des connaissances,
de l'expérience et l'implication personnelle de la famille et des intervenants
dans la situation constituent les premières conditions d'acquisition
des savoirs dans le contexte de l'intervention PRIFAM. Pour les intervenants,
les conditions qui rendent possible l'acquisition de ces savoirs sont une attitude
d'ouverture et la capacité d'autocritique, d'être pro-actif et
de croire en l'importance du rôle de liaison de l'intervenant. Ceux-ci
doivent être disposés à s'interroger sur leur sentiment
et préjugé face à la déficience et à se remettre
en question. Le partage des ressources de chacun permet de structurer et d'encadrer
la relation avec les familles. Les intervenants possèdent un savoir disciplinaire
qu'ils mettent à la disposition des familles et considèrent celles-ci
comme étant détentrices d'un savoir particulier sur leur enfant
et comme les mieux placées pour répondre à leurs besoins.
Pour les parents, la possibilité de s'abandonner avec confiance à
un intervenant qui ne juge pas et les respecte ainsi que la confiance que celui-ci
met dans les compétences des parents s'avèrent être les
principales conditions pour acquérir les savoirs nécessaires à
leur nouvelle situation avec l'enfant ayant une déficience. Être
en contact avec le même intervenant qui connaît l'histoire de la
famille favorise une adaptation plus rapide. Pour plusieurs, un intervenant
qui partage ses ressources avec eux, qui informe dès le début
sur ce qui est important de considérer dans les soins à donner
à l'enfant et suit de près l'évolution des parents et de
la famille entière est une condition importante qui permet de passer
la période initiale du choc plus facilement. Les parents apprécient
d'avoir eu le temps d'assimiler l'expérience pour être en mesure
de la comprendre.
CONCLUSION
Dans le PRIFAM, c'est la réflexion sur soi et avec l'autre, la prise
de conscience de ses propres valeurs et croyances par rapport à la déficience
et de celles de l'autre qui conduisent à de nouveaux savoirs. De plus,
la réflexion sur et dans l'action amène chacun des partenaires
à identifier ses compétences, ce qui leur permet de s'autodéterminer
et de cheminer vers l'autonomie dans la prise en charge de l'enfant avec une
déficience.
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