La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment les analyses de la pratique dans la formation renouvellent-elles les questions de l'identité et de la culture ?


Titre : L'explicitation du savoir en contexte de garde scolaire par les éducatrices : comprendre pour mieux agir
Auteurs : Hélène Larouche Université de Sherbrooke, Canada

Texte :
But et objectifs de recherche
Le but de ma recherche est de mieux comprendre le savoir d'expérience développé dans la vie de tous les jours par des éducatrices intervenant en garde scolaire. Ce contexte a été choisi car il présente un milieu éducatif peu connu et surtout peu reconnu. En consultant la littérature plusieurs facteurs ont été avancés pour justifier la nécessité d'une étude sur la pratique en garde scolaire. Mentionnons entre autres l'absence d'exigence de qualification (est-ce que cela signifie que n'importe qui peut décider de travailler en garde scolaire?), la diversité des profils professionnels des personnes actuellement en place (y aurait-il une prévalence sur l'expérience?), l'ambiguïté quant à spécificité du rôle des éducatrices (est-ce que le programme éducatif doit se rapprocher du milieu scolaire ou du milieu familial?). Voilà autant de questions qu'une recension des écrits a permis de soulever sans apporter de réponses claires quant à la nature du travail en service de garde scolaire. Un des objectifs vise donc à cerner les contours d'une pratique peu définie.
Un autre objectif de recherche consiste à partir du point de vue des éducatrices pour comprendre comment elles définissent et construisent leur savoir. Le regard de l'intérieur représente la posture épistémologique privilégiée pour appréhender le phénomène et donner la parole aux acteurs. La perspective ethnométhodologique rejoint cette visée par son postulat : comprendre comment les membres d'une communauté se donnent des moyens pour organiser leur vie sociale (Coulon, 1996). Le sens n'est un donné pré-existant, il est construit dans les interactions sociales, dans la négociation quotidienne.
Cadre conceptuel
Garfinkel (1984), fondateur du courant et inventeur du terme ethnométhodologie, parle de savoir de sens commun que les acteurs exercent à travers leurs actions et leurs interactions. Dans leur pratique quotidienne, ils donnent un sens à leur action pour en faire un tout cohérent. Il y a une grande part d'implicite dans l'action. La thèse de Giddens (1987) a alimenté ma conceptualisation du savoir d'expérience. L'auteur définit la compétence des acteurs par la conscience discursive et la conscience pratique. La conscience discursive réfère au discours de l'acteur sur sa pratique. La conscience pratique englobe le savoir tacite sans que l'acteur puisse nécessairement l'exprimer discursivement. Dans l'action, la compétence de l'acteur se révèle par sa capacité à décoder et à intervenir en tenant compte des contraintes structurelles qui sont le plus souvent tacites. Cette compétence peut être accrue quand l'acteur est appelé à rendre compte de sa pratique. Il n'y a pas de barrière entre la conscience pratique et la conscience discursive.
On voit se dessiner le sentier qui nous permettra d'accéder au savoir d'expérience et qui aidera à cerner le territoire de pratique des éducatrices en garde scolaire. Le savoir est construit en faisant une analyse réflexive sur un problème rencontré dans la pratique. Il est possible d'accéder au savoir ainsi reconstruit par le langage. Nous devons faire en sorte de solliciter la compétence que les éducatrices démontrent quand elles ont à résoudre un problème. Par le mode narratif, elles expliciteront les motifs et les intentions guidant leur action. Empruntant à la terminologie ethnéméthologique, nous parlerons du code de pratique que les éducatrices se définissent dans l'action. Mais avant de développer la méthodologie attardons nous à un dernier concept, celui du savoir développé en contexte.
Nous avons largement puisé nos appuis théoriques chez Dewey qui affirmait au début du siècle dernier que l'on apprend en expérimentant dans un contexte donné (Dewey, 1933). La connaissance est dans l'expérience, mais l'expérience n'est pas connaissance. L'expérience doit être pensée et analysée pour en dégager un sens. Face à un problème survenant dans sa routine l'acteur anticipe les conséquences, explore et analyse par raisonnement différentes pistes d'action, élabore une hypothèse pour ensuite la mettre à l'épreuve.
Méthodologie
La méthodologie retenue pour reconstruire le code des éducatrices est l'utilisation de récit de pratique. L'événement raconté dans le récit lui confère un statut de problème complexe et permet d'accéder au sens que les acteurs lui donnent. Les récits sont ensuite discutés en groupe selon une approche pédagogique bien connue, la méthode des cas. La cueillette de données s'est déroulée dans un cours offert à l'Université Laval (Québec) dans le cadre d'un programme de formation continue. Les étudiantes sont des éducatrices en exercice et parmi les critères de sélection, nous avons défini un profil attendu: posséder une expérience de travail d'au moins deux ans ou plus, avoir une tâche régulière, présenter une certaine habileté à parler de sa pratique et avoir le goût d'en parler. Au total sept éducatrices se sont inscrites au cours et ont accepté librement da participer à la recherche.
Les données recueillies sont de deux ordres : les récits individuels sous forme écrite et les discussions de groupe enregistrées et retranscrites. Voici un aperçu du déroulement du cours : à chaque rencontre un récit est analysé, celui-ci est remis à l'avance aux autres membres pour en rendre connaissance et préparer des questions. Mentionnons que les récits ont été écrits en plusieurs étapes : une rencontre individuelle pour explorer le choix d'un problème à raconter, une première version commentée par la formatrice, une deuxième version présentée au groupe, enfin la dernière version a été complétée suite à la discussion en groupe. De plus, un guide est remis pour la rédaction du récit. Certains critères ont servis de balises dans le choix du récit : un récit authentique, un problème appelant une décision, un récit ayant une finalité éducative, un cas typique de la garde scolaire, un cas complet (problème qui a demandé une prise de décision), un récit exemplaire, un récit à partager en groupe.
Résultats
Les données de recherche sont interprétées suite à une démarche d'analyse de données par théorisation ancrée. Les données ont été restructurées autour de trois niveaux d'analyse. Un premier niveau d'analyse concerne le code explicité, soit le code personnel de chacune des éducatrices tel que reconstruit suite à leur récit. La question guidant l'interprétation se résume à : quel est le sens que l'éducatrice donne à a sa pratique? Un deuxième niveau concerne le code négocié par les membres, soit le code social des éducatrices en garde scolaire. La question guidant l'interprétation se formule comme suit : quel est le sens que le groupe donne au cas soumis? Enfin un troisième niveau d'analyse concerne un code partagé, soit un code moral issu du discours en groupe. La question guidant l'interprétation se formule comme suit : quel est le sens que le groupe se donne pour lui-même? Ce troisième niveau représente une belle découverte dans cette recherche. Rappelons la position épistémologique qui postule que le code de pratique est un donné qui se construit dans l'action. Le troisième niveau d'analyse a permis de mettre à jour certaines dimensions du savoir d'expérience des éducatrices en garde scolaire. Les trois codes nous aident à comprendre la nature du savoir développé dans le contexte de la garde scolaire.
Interprétation
Le code explicité fait référence au monde subjectif des éducatrices. Il rapporte le code personnel de chacune dans leur rapport social. Pour certaines, le code est hautement implicite et requiert un grand effort d'explicitation. Par exemple, le code est plus facile à interpréter quand l'éducatrice a pu prendre un certain recul dans le temps et dégager un sens en lien avec sa pratique habituelle. Le code est plus ou moins confus selon que le récit livre le processus de résolution du problème. Par exemple il arrive que la solution ne soit pas toujours en lien avec le problème tel que formulé au départ.
Le code négocié fait référence au monde social des éducatrices en garde scolaire. La discussion des récits a permis la mise à jour des règles et des normes propres à la pratique (les ethnométhodes). Le groupe à travers les problèmes analysés régule un code commun et se donne un mode d'action. Pour le dire autrement, le code est à la fois produit et constituant de la pratique. Les règles exprimées et questionnées deviennent source d'évolution et de transformation.
Le code partagé fait référence à la dimension éthique ou morale. À chacune des rencontres de groupe des dimensions de spécificité ont été identifiées dans l'analyse. Six dimensions prennent ainsi un sens particulier pour les éducatrices. Attardons-nous sur chacune d'entre elles. 1) Dans l'école tout se sait. Les éducatrices s'entendent pour affirmer que la relation de confiance avec l'enfant est primordiale. Elles s'engagent à respecter les secrets et confidences des enfants. 2) L'âme d'un sauveur. Les éducatrices admettent l'idée qu'elles doivent apprendre à se protéger émotionnellement tout en respectant les besoins des enfants, particulièrement quand ceux-ci ont de grands besoins. 3) Le soutien d'équipe. Les éducatrices font valoir le besoin de communication au sein de leur équipe et la nécessité de cultiver l'esprit d'équipe. 4) Les cas d'exclusion. Les éducatrices s'accordent à dire qu'il doit y avoir une réglementation leur permettant de suspendre les enfants irrespectueux ou de refuser ceux qu'elles sentent malheureux au service de garde. 5) Les besoins de formation. Les éducatrices discutent de la nécessité d'engager des professionnelles qui font preuve de jugement et qui se posent des questions. 6) Le partage des responsabilités. Enfin les éducatrices affirment que le service de garde représente un endroit sécuritaire pour les enfants quand les parents leur confient cette responsabilité.
Conclusion
Les trois codes révèlent toute la complexité du savoir d'expérience des éducatrices en garde scolaire. Un savoir qui est interprété à partir de situations réelles et en contexte. Les récits de pratique comme méthode de cueillette de données ont desservis les deux objectifs de recherche : définir la spécificité de la garde scolaire et mieux comprendre la construction du savoir à partir d'une activité de formation-recherche. Nous avons vu que les éducatrices reconstruisent leur savoir par l'explicitation, la négociation et le partage du code de pratique. Par cette étude nous désirons témoigner que la perspective ethnométhodologique représente une voie originale et prometteuse pour les chercheurs en éducation désireux d'approfondir le thème connaître et agir.

Références

Coulon, A. (1996). Ethnométhodologie. Dans : A. Mucchielli (Dir.) : Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales (pp.72-77). Paris : Armand Collin.
Coulon, A. (1987). L'ethnométhodologie. Paris: Presses universitaires de France.
Dewey, J. (1933). How we think. Boston : Helath.
Giddens, A. (1987). La constitution de la société. Paris: Presses universitaires de France.


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