Le travail conduit dans les dispositifs d'analyse des pratiques vise, entre
autres finalités, l'évolution de l'identité professionnelle
des praticiens dans ses différentes composantes : renforcer les compétences
requises dans les activités professionnelles exercées, accroître
le degré d'expertise, faciliter l'élucidation des contraintes
et enjeux spécifiques de leurs univers socioprofessionnels, développer
des capacités de compréhension et d'ajustement à autrui
Pour la mise en place de dispositifs d'analyse des pratiques professionnelles,
plusieurs paramètres sont ainsi susceptibles d'entrer en jeu :
- l'expérience plus ou moins importante des professionnels concernés,
compte tenu de leur champ d'activités ;
- la nature des liens entre professionnels participant au travail d'analyse
;
- le mode de participation des professionnels au processus d'analyse ;
- le ou les systèmes de références théoriques au(x)quel(s)
il est fait appel.
C'est de ce dernier paramètre dont on traitera ici en retenant, parmi
les différentes disciplines en sciences humaines et sociales, la psychosociologie.
Après avoir précisé que l'étayage théorique
qu'elle apporte aux types d'approches d'analyse des pratiques professionnelles
les mieux identifiés est clairement reconnu, je propose, en prenant appui
sur un ensemble de références d'ordre à la fois théorique
et technique (extraites pour la plupart de la série d'ouvrages collectifs
que j'ai coordonnés avec C. Blanchard-Laville), de fournir des points
de repère visant à appréhender la contribution particulière
de l'orientation psychosociologique au développement de dispositifs d'analyse
des pratiques professionnelles au sein de deux grands domaines d'activités
: formation (dynamique de groupe, stages de formation psychosociale, groupe
d'analyse de la pratique) et intervention (supervision et consultation).
En tant que système de références théoriques, la
psychosociologie ou psychologie sociale constitue assurément l'une des
principales sources ayant contribué au développement d'approches
spécifiques d'analyse des pratiques professionnelles. Ainsi, M. Moreau-Ricaud
(2000, p. 178) note-t-elle dans sa biographie de Michael Balint que " Le
groupe Balint n'est pas une méthode complètement made in England
mais un hybride créé à partir de deux filiations, l'une
psychosociale (de méthode de groupe et de case-work avec Enid Balint),
l'autre analytique (de groupe avec Bion, et hongroise avec l'analyse de contrôle
et Vilma Kovács) " ; par ailleurs, l'influence des travaux de K.
Lewin, notamment à partir de sa conception des démarches de recherche-action,
est clairement établie quant à l'approche réflexive initiée
par D. Schön et C. Argyris.
L'étayage théorique apporté par la psychosociologie aux
types d'approches les mieux identifiés étant reconnu, je propose
de fournir un ensemble de points de repère visant à appréhender
la contribution particulière de l'orientation psychosociologique au développement
de dispositifs d'analyse des pratiques professionnelles au sein de deux grands
domaines d'activités : formation et intervention.
Psychosociologie et formation : apprendre autrement
L'apport de la dynamique de groupe (" groupes centrés sur le groupe
") à l'analyse des pratiques professionnelles apparaît relativement
indirect, dans la mesure où plusieurs conditions requises au bon déroulement
de cette expérience, comme l'absence d'interconnaissance mutuelle préalable
entre participants, la situation d'isolement culturel (renforcée par
le déroulement du stage en résidentiel), ou encore la centration
quasi-exclusive sur l'analyse des interactions se déroulant dans l'ici
et maintenant, paraissent bien éloignées d'un type de travail
consistant à traiter de situations rencontrées dans l'exercice
d'activités professionnelles. Si apport il y a, il ne peut être
situé que dans une forme de compréhension des interactions et
des phénomènes appelés à se développer dans
différents types de groupes, dont ceux se proposant d'analyser des pratiques
professionnelles, et dans la nature du processus permettant d'accéder
à cette compréhension, qui relève davantage d'une prise
de conscience que d'un apprentissage, au sens classique du terme.
D'autres types de dispositifs sont donc à interroger, tels " les
groupes centrés sur le groupe et la tâche " qui visent à
la fois l'apprentissage et l'évolution des participants, d'autant que
c'est à partir d'eux que se sont développées la plupart
des activités de formation psychosociale en France depuis quarante ans,
et ce, même s'ils semblent avoir suscité moins d'intérêt
et, en tout cas, beaucoup moins de publications que celles relatives à
la dynamique de groupe.
Les stages de formation psychosociale
Ce qui caractérise avant tout la formation psychosociale ce sont les
modalités pédagogiques utilisées et le type d'objets traités
dans les stages. Il s'agit de créer un milieu en décalage par
rapport aux situations habituelles de travail, fréquemment ressenties
comme contraignantes, et qui se démarque des formes scolaires traditionnelles
le plus souvent rencontrées lors d'activités d'apprentissage.
En effet, ce n'est pas tant l'acquisition de savoirs ou de savoir-faire techniques
qui est prioritairement visée que l'évolution des attitudes des
participants, par rapport aux autres et à eux-mêmes, ainsi que
la transformation du regard qu'il portent sur leurs activités professionnelles
et le contexte organisationnel et institutionnel au sein duquel elles se déroulent.
Pour ce faire, le recours à des méthodes actives paraît
s'imposer.
C'est dans un cadre de cette nature qu'on introduira des séquences d'analyse
de la pratique en fonction des thématiques plus particulièrement
traitées en session de formation (évaluation, conduite de réunion,
entretiens, fonctions d'encadrement
). Il s'agit d'établir des liens
entre les aspects explorés en groupe de formation et les situations rencontrées
par les stagiaires dans leur contexte professionnel afin de dégager les
significations attribuables aux conduites mises en uvre.
Les groupes d'analyse de la pratique
De façon plus systématique, les séquences d'analyse de
la pratique peuvent constituer, à elles seules, la modalité de
travail caractérisant le stage de formation ; en ce cas on parlera de
" cycles d'évolution professionnelle " inspirés des
groupes Balint (Maisonneuve, 1968) ou encore de groupes d'analyse de la pratique.
Alors qu'on avait signalé précédemment les deux filiations
des " groupes Balint " - l'une psychosociale, l'autre psychanalytique
- il n'est en définitive guère étonnant qu'on ait repris
dans un registre psychosociologique le type de cadre inventé par M. Balint.
Dans ces dispositifs à visée d'évolution professionnelle,
il s'agit de réunir un petit groupe, d'environ une douzaine de professionnels
qualifiés dont les activités sont suffisamment homogènes,
et d'inviter à tour de rôle les participants à parler des
situations rencontrées dans leur expérience professionnelle. Le
rôle du moniteur-animateur, psychanalyste et en général
d'une professionnalité identique à celle des participants, consiste
à faciliter le travail d'analyse et la prise de conscience des aspects
transférentiels et contre-transférentiels en jeu dans les situations
professionnelles d'interaction. Au bout de quelques années - Balint estimait
qu'au moins deux années étaient nécessaires - les professionnels
sont à même de repérer une évolution dans leur façon
d'exercer.
Mais qu'en est-il lorsqu'un travail d'élucidation caractéristique
de l'analyse des pratiques s'exerce dans des situations échappant à
un contexte classique de formation, où des dimensions d'intervention
sont présentes, c'est-à-dire lorsqu'il est mené au sein
de " groupes réels " constitués de professionnels appartenant
au même établissement ou au même service ? Quels aspects
particuliers se font jour lorsque la visée, loin de se limiter à
l'évolution des sujets, concerne davantage une dynamique collective ?
Interventions dans les organisations et consultations d'équipes d'orientation
psychosociologique
Des pratiques diversifiées
D'usage fréquent dans le langage courant, le terme intervention sert
à désigner, dans une acception plus technique, un type d'activités
hybride empruntant à la fois :
- à des pratiques de recherche, les enquêtes en sciences sociales
et humaines,
- à des pratiques de formation, principalement les méthodes de
formation psychosociale,
- à des pratiques de débat social dont les formes peuvent se révéler
multiples,
soit les trois sources techniques de l'intervention psychosociologique répertoriées
par J. Dubost (1987). En outre, plusieurs traits contribuent à structurer
toute situation d'intervention : l'énonciation d'une demande, émanant
d'un collectif et le concernant (établissement, ou sous-ensemble organisationnel
d'un établissement, dans le cas de figure d'une intervention intra-organisationnelle),
dans la mesure où ce collectif se trouve confronté à une
situation-problème pour le traitement de laquelle il s'estime, à
tort ou à raison, démuni et cherche de ce fait à obtenir
le concours d'un tiers, consultant ou intervenant (individu ou équipe).
On conçoit qu'en fonction du collectif considéré - le système
client - (taille de l'organisation et domaine social : entreprise, établissement
éducatif, organisme sanitaire ou social), du type de situation-problème,
de l'intervenant contacté (ses options épistémologiques
et visées idéologiques), les situations d'intervention se révèlent
des plus variables.
Lorsqu'il est question de travailler à l'analyse des pratiques professionnelles
dans une structure donnée, la place accordée aux praticiens peut
s'avérer plus ou moins importante. Si la démarche est plutôt
du type enquête, l'intervenant cherchera à rassembler un ensemble
de données relatives aux pratiques (par observation, questionnaire, entretiens
),
puis procèdera à leur analyse avant de restituer les résultats
de son travail aux professionnels concernés. Mais, quant une visée
de changement prime sur une visée de connaissance, une autre voie, moins
en extériorité et qui caractérise davantage selon nous
une approche d'orientation psychosociologique, consiste à emprunter à
la formation psychosociale, en proposant des dispositifs dans lesquels l'analyse
de la pratique s'effectue à partir des récits que font des professionnels
de leur expérience au sein de " groupes réels " ou "
groupes naturels ", soit dans un contexte autre que de formation.
Analyser les pratiques professionnelles en situation d'intervention
L'intervention se différencie de la formation. Pourtant, bien souvent,
on parle de " formation intra " ou de " formation sur site "
; en ce cas c'est pour les distinguer d'actions de formation dites " inter-entreprises
" ou " stages inter ". Ces expressions soulèvent un certain
nombre d'ambiguïtés puisqu'en les utilisant on ne caractérise
pas la nature de l'action, le type de processus pédagogique à
l'uvre. On signifie simplement que l'action se déroule sur le lieu
de travail des stagiaires, que le formateur s'y est rendu pour animer le stage
de formation, et, le plus souvent, on invoquera des raisons budgétaires
ou financières pour justifier ce déplacement. En situation d'intervention,
les dimensions collectives se révélant davantage prégnantes,
le changement concerne certes les sujets mais aussi les structures organisationnelles
au sein desquels ceux-ci sont amenés à évoluer.
L'appartenance à un même collectif de travail constitue un paramètre
fondamental trop souvent négligé, voire ignoré, et dès
qu'on s'adresse à un groupe de professionnels ayant des liens de travail
obligés, alors des dimensions d'intervention sont nécessairement
présentes. On utilise donc le terme d'intervention dans les cas où
le travail s'engage à partir d'une demande qui concerne des agents appartenant
à une même organisation, à un collectif de travail qui leur
est commun. En ce cas, la finalité de l'action n'est plus seulement le
changement ou l'évolution des personnes qui y participent mais aussi,
peu ou prou, celui de leur collectif de travail.
Dans une action de cette nature, les interactions entre participants diffèrent
de celles existantes dans des groupes de formation, c'est-à-dire dans
des groupes réunissant de manière épisodique et limitée
dans le temps un ensemble de professionnels exerçant dans des structures
diverses. En présentant des situations de travail qui les questionnent,
les professionnels ne traitent pas seulement des représentations qu'ils
ont de ces situations, mais directement des problèmes rencontrés
par les membres d'un groupe " réel " ou " naturel ",
c'est-à-dire inscrits dans un contexte institutionnel déterminé
; ce qui n'a rien d'évident dans la mesure où les professionnels
ayant des liens de travail obligés peuvent être en désaccord
sur la façon d'exercer ou en butte à des conflits interpersonnels
induits par l'organisation du travail.
Secondairement, car c'est bien l'appartenance ou pas à un même
collectif de travail qui apparaît avant tout déterminante, en fonction
de la (des) catégorie(e) de professionnels et de leur type d'activité,
des missions de leur service, des caractéristiques des clients, usagers
ou bénéficiaires concernés, mais aussi de la position de
l'intervenant (interne ou externe), de son identité professionnelle et
de son inscription institutionnelle s'il est externe (free lance, salarié
d'un organisme, universitaire
), de ses références théoriques
(psychosociologie mais avec également des emprunts possible à
la sociologie, la psychanalyse...), de ses options techniques et des règles
de fonctionnement qu'il instaure (privilégie-t-il l'aspect procédural
de l'activité des professionnels ou leur implication dans l'action et
la relation qu'ils entretiennent aux usagers ? Quelle place accorde-t-il au
travail de et en groupe ?)
les modalités du travail d'analyse peuvent
apparaître très diverses. Selon les aspects sur lesquels porte
le travail d'élucidation, on distinguera avec J.C. Rouchy (1987/1998)
entre supervision et consultation.
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