1. L'importance de la langue maternelle dans le processus de l'apprentissage
de l'écriture
Quand l'enfant entendant arrive à l'école, il possède
un vocabulaire propre et des connaissances de l'usage des formes grammaticales
de sa langue maternelle qui seront employées dans l'apprentissage de
l'écriture. L'enfant sourd, même s'il a déjà développé
avec ses parents une certaine forme de communication (orale ou gestuelle), débute
le processus d'alphabétisation la plupart du temps à partir d'une
systématisation précaire de la langue parlée, ce qui rend
ce processus plus complexe.
Il y a une littérature abondante de l'enseignement de l'écriture
pour les enfants entendants qui définit cet apprentissage comme une deuxième
langue à être acquise, c'est-à-dire, comme langue étrangère.
Cependant, il y a peu d'études concernant les enfants qui commencent
le processus de l'acquisition de l'écriture sans maîtriser la grammaire
de sa langue maternelle, ce qui arrive à l'enfant sourd.
Dans la littérature spécialisée en éducation spéciale,
on observe une grande polémique sur quelle langue devrait intervenir
dans le processus de l'apprentissage de l'écriture du sourd - langue
orale ou de signes ? Plusieurs chercheurs croient que l'écriture a un
rôle important dans le processus général de l'acquisition
du langage et dans le développement cognitif du sourd. Néanmoins,
la façon dont la langue est conçue et travaillée dans de
différentes propositions éducationnelles peut rendre difficile
ou facile l'accès et le développement du langage verbal de l'enfant
sourd.
Ainsi, pour les adeptes de la conception monolingue, l'acquisition de la langue
orale est toujours considérée essentielle pour le succès
de l'apprentissage de l'écriture (Couto, 1988; Ciccone 1990; Costa, 1994;
Boothroyd, 1996 et d'autres). Contraires à cette vision et opposants
de la Communication Totale et de la Proposition de l'Oralité, les chercheurs
d'une conception bilingue ont développé leurs études basés
sur l'idée du langage écrit comme un système autonome par
rapport à la parole (Alisedo-Costa, 1987; Sánchez, 1993; Quadros,
1997 et d'autres). Ferreira-Brito (1993), représentante de cette conception,
dit que le sourd apprend à lire le portugais sans avoir appris à
le prononcer, comme quand on apprend une langue étrangère sans
savoir nécessairement prononcer ses mots.
On peut apercevoir dans ces deux conceptions (monolingue et bilingue) qu'il
est nécessaire que l'individu sourd ait une maîtrise antérieure
d'un système linguistique au moment où il va apprendre la langue
écrite, soit-il oral (parole) ou gestuel-visuel (signes).
On sait que la langue de signes peut intervenir dans l'apprentissage de l'écriture
du sourd, comme affirment les chercheurs de la proposition bilingue, cependant
on ne peut pas ignorer que des conditions appropriées pour cet apprentissage
ne sont pas fréquemment mises en place dans notre société.
Ce qui nous présente la réalité brésilienne, ce
sont des enfants sourds qui ne maîtrisent ni la langue orale ni la langue
de signes. Ainsi, on se demande: que doit-on faire face à ces enfants
sourds qui ont besoin de commencer leur alphabétisation? Faut-il d'abord
attendre l'apprentissage de la langue de signes? Doit-on attendre qu'ils apprennent
le système oral et après leur apprendre l'écriture?
Dans notre recherche chez les enfants sourds, on a observé que bien qu'ils
n'aient pas une langue systématisée, ils cherchent à comprendre
d'une certaine manière l'écrit; pourtant, la préoccupation
de différents professionnels de leur apprendre un système linguistique,
oral et/ou gestuel-visuel, comme condition sine qua non à l'alphabétisation,
peut conduire à ce qu'on ne valorise pas les ressources sémiotiques
que l'enfant emploie dans l'apprentissage de l'écriture.
Sans oublier l'importance que la langue conventionnelle a dans l'éducation
du sourd, on croit qu'il est possible de la saisir à travers une conception
de langage qui prend en compte les ressources linguistiques que l'enfant emploie
dans l'acquisition de l'écriture. Le travail qui privilégie le
processus d'interaction dans la constitution de la connaissance ouvre de nouvelles
possibilités au développement du sourd. L'adulte a un rôle
primordial dans ce processus, car, au moment où il reconnaît les
ressources sémiotiques de l'enfant, il peut l'aider dans l'apprentissage
de langue écrite (Vygostky, 1991).
Appuyée sur les présupposés socio-interactionnels et sur
une vision de langage discursive (Bakhtin,1992), cette étude a eu comme
but d'identifier et d'analyser les ressources orales et gestuelles utilisées
par un groupe d'enfants sourds dans le processus de systématisation de
l'écriture.
2. Procédures méthodologiques employées dans la recherche
Les données de cette étude ont été recueillies
au CEDAU (Centro Educacional do Deficiente Auditivo), de l'Hospital de Reabilitação
de Anomalias Crâniofaciais da Universidade de São Paulo de Bauru
- Brésil (HRAC/USP).
On a choisi de travailler avec un échantillon constitué de quatre
enfants sourds (trois filles et un garçon), de tranche d'âge entre
07 à 8 ans, inscrites dans des classes régulières de l'Enseignement
public et privé. Ces enfants présentaient surdité neurosensorielle,
aux degrés de lésion auditive variables entre modéré
et profond.
On a enregistré par vidéo des situations d'interaction thérapeute-enfant
et enfant-enfant dans six différentes activités de production
écrite qui ont été programmées préalablement
par la thérapeute. Tels activités ont été: dictées,
élaboration de phrases (orales et écrites), production de textes
à partir de gravures et à partir d'événements divers
et reproduction de textes à partir d'histoires infantiles racontées.
Au delà des données obtenues par les enregistrement vidéo,
on a recueilli aussi les productions écrites des participants.
Pour le traitement et l'analyse des données, on a dû transcrire
les enregistrements effectués. La transcription a compris la description
de l'oralité et de la gestualité employées pendant le processus
de l'écriture et dans l'interaction de l'enfant-focalisé avec
l'autre dans les activités mentionnées.
Pour faciliter l'analyse, les ressources gestuelles employées par les
participants de cette étude au cours du processus de l'apprentissage
de l'écriture ont été classées de la façon
suivante : gestes interpréteurs de phonèmes, gestes mimiques et
gestes culturellement signifiés. On appelle gestes interpréteurs
de phonèmes les mouvements moteurs criés avec le seul objectif
d'aider l'enfant à établir les relations orthographiques-phonétiques
dans les situations de production de la langue orale et écrite. Souvent,
ces mouvements indiquent corporellement le point ou le mode d'articulation du
phonème qui est en jeu, aussi bien que ses caractéristiques supra
segmentaires : durée, extension, intensité. Dans d'autres situations
ils représentent les gestes que les enfants utilisent pour indiquer des
lettres et des syllabes disposées dans la classe et aussi les mouvements
qu'ils utilisent pour dessiner des lettres en l'air. Les gestes mimiques sont
compris comme représentations motrices des objets auxquels ils se réfèrent.
Comme gestes culturellement signifiés, on entend les symboles culturels
plus connus et utilisés dans la société, par exemple, des
gestes qui signifient " attendez un peu ", " venez ici ",
" tchao ", " je pars ", etc.
Dans les discussions des données recueillies, on a cherché à
sélectionner et à analyser des activités de l'écriture
considérées exemplaires et d'autres activités qui se réfèrent
à quelques aspects singuliers du processus de l'apprentissage de l'écriture
des enfants participants de cette étude. On a essayé aussi de
détacher, au cours de l'analyse, des moments d'oralité e/ou gesticulations
accompagnées ou pas de l'acte écrit, aussi que les interactions
entre la thérapeute et les participants de cette étude.
3. Considérations finales de cette étude
Les données obtenues dans cette étude ont montré que l'insistance
constante sur la communication orale semble avoir limité l'utilisation
des ressources gestuelles par les participants de cette étude dans la
plupart des situations analysées. Dans le processus d'interlocution,
les enfants, d'une manière générale, s'adressaient à
la thérapeute en employant des fragments de parole accompagnés
d'autres ressources sémiotiques disponibles dans la communication, dans
ce cas, les gestes. On a pu constater que la thérapeute, dans la plupart
des situations, n'attribuait pas de signifiés à ces gestes, cependant,
les données de cette étude révèlent que les gestes
interprétateurs de phonèmes configurent un moyen important pour
l'enfant qui se trouve à l'étape finale du processus de l'écriture,
c'est-à-dire, au moment où l'on cherche à comprendre comment
les sons sont représentés graphiquement.
En ce qui concerne les gestes culturellement signifiés et les gestes
mimiques, ils se sont montrés extrêmement importants pour l'enfant
au fur et à mesure qu'ils les employaient pour partager avec l'autre
sa connaissance sur l'écriture. Autrement dit, ces gestes semblent être
considérés par les participants de cette étude comme une
ressource linguistique importante dans le processus de systématisation
de l'écriture.
En ce qui concerne la production écrite des participants, ce qui nous
a attiré l'attention c'est la grande occurrence dans plusieurs activités
développées d'erreurs formelles que l'on peut diviser dans deux
grands blocs : des échanges orthographiques (phonétique) et des
erreurs de constructions grammaticales (morphologie et syntaxe).
Des exemples typiques d'erreurs orthographiques ont été identifiés
surtout dans des activités de dictée (effectuées par la
thérapeute et par les enfants) dont l'objectif principal était
d'évaluer la capacité de l'enfant à écrire selon
la norme standard. Cependant, il faut mettre en relief que ces erreurs ont été
identifiées aussi dans les autres activités et étaient
suivies d'erreurs grammaticales.
Même si on sait que l'absence d'une langue commune entre les interlocuteurs
peut rendre difficile, voire retarder, le processus d'apprentissage de l'écriture,
on croit que, quand on admet une vision du langage qui considère une
variété de ressources sémiotiques dans la communication,
on ouvre une possibilité réelle à ces enfants de constituer
le langage écrit. Dans cette conception, la maîtrise partielle
du système linguistique oral n'est plus considéré un obstacle
pour que l'apprentissage de l'écriture s'effectue. En outre, l'apprentissage
de l'écriture, conçue comme résultat d'un processus d'interaction
avec l'autre, nous fait reconnaître que l'adulte a un rôle fondamental
dans ce processus, puisque que c'est lui qui ira interpréter le moyen
dont l'enfant le signifie et, ainsi, il pourra l'engager dans le processus d'acquisition
de nouvelles connaissances de cette forme complexe de langage qui est l'écriture
(Bakhtin, 1992).
En somme, les données obtenues montrent l'importance de se considérer
les différentes ressources sémiotiques dans le processus d'apprentissage
de l'écriture. Ainsi, tout le processus d'apprentissage ne porterait
pas seulement sur le canal qui est endommagé, l'audition. Il faut prendre
en considération que les gestes sont aussi constitutifs du langage verbal
et, donc, capables de signifier l'écriture elle-même.
Quand on considère l'écriture un univers de cognition, elle pourra
conduire l'enfant sourd, peu à peu, à participer d'interactions
qui ne se restreignent pas au contexte immédiat, elle sera une possibilité
effective de communication de l'enfant sourd avec des interlocuteurs différents.
Son acquisition exigera toujours du sourd un acte de réflexion sur le
langage dans la constitution du sens pendant l'interaction avec l'autre au moment
de l'élaboration écrite.
Bibliographiques
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