La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : Formation pour la prévention
Auteurs : MAGGI Bruno : Professeur, Théorie de l'organisation, Département d'économie et gestion d'entreprise Université de Bologne, Italie

Texte :
Que l'action dirigée vers l'analyse et la maîtrise des situations de travail dans le but de la prévention des risques (autrement dit, pour la santé et la sécurité des travailleurs) doive intégrer une formation adéquate est à la fois prescrit par des normes légales, et pleinement accepté. La question qui se pose concerne les caractéristiques de cette formation. Pour pouvoir contribuer efficacement à l'obtention des résultats désirés, doit-elle revêtir des caractères particuliers ou peut-il s'agir d'une formation quelconqueEn essayant de répondre à cette question, nous proposerons quelques réflexions à partir de deux cas de formation mise en place dans l'objectif de prévention.
Dans le premier cas, le but de la formation était de doter d'outils d'analyse et d'évaluation des situations de travail les composants d'un comité de santé et de sécurité d'une entreprise de services. La compagnie d'assurances RAS -
Riunione Adriatica di Sicurtà - née en 1838 en Italie du Nord, fait partie du Groupe Allianz, l'un des premiers groupes dans le secteur européen des assurances et qui a son siège en Allemagne. Au début des années 90, RAS collectait environ 2 000 millions d'euro de primes et employait quelques 3 800 personnes. A cette époque elle avait institué une commission consultative paritaire, composée de représentants de la direction de l'entreprise et de représentants syndicaux, ayant pour objectif le monitorage des conditions des systèmes de travail, de santé et de sécurité des employés de la compagnie, ainsi que le suivi de l'application des normes concernées. Cette commission devait être en état d'évaluer les situations de travail et, le cas échéant, de proposer des interventions d'amélioration, visant à garantir à la fois le bien-être des employés et l'efficacité des activités de l'entreprise. Pour doter la commission des outils et des savoirs faire nécessaires à son mandat, la compagnie RAS avait prévu un parcours de formation, et s'était adressée au Programme interdisciplinaire de recherche «and Well-being(O&W) pour la mise en place de cette formation.
Dans le second cas, le but de la formation était le développement, par les opérateurs d'hôpitaux, de connaissances et de capacités d'analyse des risques, ainsi que des capacités d'intervention sur le processus de travail. L'Unité des services sanitaires de la Province de Trentode l'Italie), concerne une aire géographique d'environ 500 000 habitants et est composée de treize secteurs territoriaux dont cinq intègrent un hôpital. Ces cinq hôpitaux comptent au total 180 unités opérationnelles et plus de 2 200 lits. A partir de la seconde moitié des années 90, cette unité provinciale des services sanitaires a, dans sa globalité, activée une formation générale visant l'utilisation de la méthode d'analyse organisationnelle et d'intervention au but de prévention proposée par le Programme O&W. Il s'agissait de répondre aux besoins d'analyse, d'évaluation et d'amélioration des situations de travail en termes de prévention des risques et de sécurité des travailleurs, dans le cadre des normes européennes et nationales concernées. Ici on fera référence en particulier aux résultats obtenus par l'unité opérationnelle de soin intensif néonatal de l'Hôpital de la ville chef-lieu.
    Les deux activités de formation sont comparables à la fois pour le contexte normatif et pour la démarche suivie. Le contexte normatif est fixé par les directives européennes (n° 89/391 du 12 juin 1989 et suivantes) que les pays de l'Union ont intégrés dans leurs lois (loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991 en Francedécret n° 626 du 19 septembre 1994 en Italie). Ces normes prescrivent une prévention primaire, générale, programmée, et projectuelle, reposant sur une évaluation des risques qui couvre de façon exhaustive l'intégralité de la situation de travailce qui implique une capacité d'analyse et d'intervention en vue du contrôle de la santé et de la sécurité des travailleurs, ainsi qu'une formation adéquate à ce besoin. L'initiative de la compagnie RAS avait anticipé les normes nationales en s'inspirant, pour sa prise de décision,de certains points fondamentaux des directives communautaires tel quel'évaluation globale et récursive des systèmes de travail de l'entreprise, l'intervention visant les meilleures conditions de travail possible, le partage de ces objectifs par la direction de l'entreprise et les syndicats de travailleurs, ainsi que le support d'une formation portant d'abord sur l'apprentissage de savoirs spécifiques, puis sur le développement de connaissances et compétences nécessaires pour maîtriser les changements organisationnels du point de vue de la prévention. Les activités mises en place par l'unité opérationnelle de Médecine du travail de l'Unité des services sanitaires de la Province de Trento, quant à elles, prenaient à la lettre tant les prescriptions des normes européennes que nationales visant une analyse complète de toutes les situations de travail et, le cas échéant, une reconfiguration des processus en vue d'assurer simultanément : l'efficacité, l'efficience, la qualité et le bien-être des sujets impliqués. Il était clair pour les responsables de l'unité de Médecine du travail que, pour atteindre ces buts, il fallait d'une part l'appropriation d'un savoir d'analyse et d'intervention organisationnelle intégrant le bien-être et, d'autre part, une démarche partagée par les dirigeants des services et par les travailleursce qui demandait une formation en cohérence avec ces objectifs.
    Comme nous l'avons dit, le dispositif de formation a été mis en place dans le cadre du Programme O&W. Il s'agit en apparence d'un dispositif simple, basé sur l'alternance entre du travail en classe et des expériences de terrain menées par les participants. Dans une première partie, des chercheurs du Programme O&W expliquent aux participants(a) la conception de la formation sous-jacente au dispositif, (b) le cadre normatif concernant la prévention sur les lieux de travail, (c) la méthode d'analyse organisationnelle proposée par le Programme. Dans une deuxième partie(a) afin d'apprendre la méthode et de comprendre la théorie qui en est à la base, les participants à la formation discutent des exemples d'analyse et de changement organisationnel venant d'expériences antérieures du Programme O&W(b) après avoir constitué des groupes de travail, les participants essayent d'utiliser la méthode apprise pour analyser leurs propres situations de travail et, à partir des résultats de cette analyse, pour proposer des interventions ayant pour but d'éviter les risques et d'améliorer globalement les processus de travail. De cette façon, la formation se déplace de la classe à un «qui est
constitué par les mêmes processus où se déroulent les activités quotidiennes des personnes en formation. Dans une troisième partie, évidemment décalée dans le temps, les participants discutent et confrontent leurs travaux de terrainl'aide des chercheurs du Programme O&W. Cette dernière phase a comme résultat, d'une part la vérification et le renforcement de l'apprentissage de la méthode et, d'autre part, la mise en œuvre d'actions de changement des processus de travail selon les objectifs désirés.
    Ce dispositif répond à une vision particulière de la formation. Elle est vue comme une réflexion du processus organisationnel sur lui-même, elle-même étant aussi un processus d'actions et de décisions orienté vers le résultat attendu, qui est d'aider à la congruence du processus primaire de travail dans sa globalité. Ainsi, ce n'est qu'à partir du processus primaire que l'on peut évaluer quelle activité de formation est nécessairedans nos cas de terrain le processus de travail demande à être enrichi de nouvelles connaissances et compétences, adaptées à la compréhension des rapports entre des choix organisationnels alternatifs et leurs retombés sur le bien-être des personnes concernées. Deuxièmement, différents instruments et modalités de formation peuvent être mis en place. Parmi ceux-ci la classe (qui a été utilisée dans nos cas pour illustrer les normes de la prévention dans les lieux de travail et les critères de la méthode d'analyse, ainsi que pour la vérification de son usage)mais la classe n'est qu'un moment partiel, temporairement détaché du cours du processus primaire de travail. C'est dans ce processus que se réalise véritablement la formation, par la mise en œuvre de nouvelles connaissances et le développement de nouvelles compétences visant les transformations souhaitées des situations de travail. Enfin, l'évaluation des résultats attendus de la formation ne peut, à son tour, que s'accomplir dans le processus de travail, par rapport aux besoins qui l'ont rendue nécessaire. Dans nos cas, ce sont les changements organisationnels, activés par l'analyse et assurant des conditions meilleures de prévention, qui témoignent du fait que l'activité de formation a été positive. En bref, la formation est associée au changement du processus de travail, du fait qu'elle fait partie de ce processuselle en constitue un processus «activateur de connaissances et de compétences dont le processus primaire a besoin pour réfléchir sur son cours et pour produire ses transformations.
    Or, la manière de concevoir la formation que nous venons de résumer, est directement associée à la manière de concevoir le processus de travail qui est à la base du Programme O&W. Deux mots sur les fondements du programme vont en expliciter les connexions. Ce programme de recherche a démarré au cours des années 80, après une longue réflexion portant sur l'étude des rapports entre les choix organisationnels des processus de travail et le bien-être des sujets impliqués et dont l'enjeu a été de mettre en place une démarche d'analyse et d'intervention, intégrant les points de vue des différentes disciplines concernées par ces rapports. La réflexion préalable au programme de recherche s'est déroulée pendant presque une décennie, en trois étapes principales. Avant tout nous nous sommes interrogés sur l'épistémologie des rapports travail/santéil fallait comprendre quelle perspective théorique, parmi les propositions de la pensée organisationnelle, pouvait prendre en charge la santéet quelle conception de la santé assurait l'orientation vers un processus perfectible de bien-être. Cette première réflexion nous ayant indiqué que dans le large éventail des perspectives sur l'organisation, seule la Théorie de l'Action Organisationnelle répondait à nos besoins, il a fallu travailler sur cette théorie, pour y intégrer des concepts traitant du bien-être et permettant ainsi un dialogue avec la démarche biomédicale sur la prévention des risques et des dommages. Enfin, nous avons mis au point une méthode d'analyse des situations de travail dérivée de la Théorie de l'Action Organisationnelle et orientée vers la prévention, capable de se connecter à l'analyse épidémiologique. A partir des années 80, et jusqu'à aujourd'hui, le Programme O&W a utilisé cette méthode dans un nombre désormais considérable de réalités de travail.
    Selon la Théorie de l'Action Organisationnelle, toute réalité organisée est vue comme un processus d'actions et de décisions, un cours heuristique de recherche et d'apprentissage. Les sujets agissants ne sont pas séparables de ce processus et, du fait qu'ils participent à sa conception, à sa mise en œuvre et à son accomplissement, ils en sont au centre. De ce fait, la congruence du processus (la congruence - tendancielle et relative - entre ses composantes) ne peut pas délaisser la prise en charge du bien-être des sujets concernés, quels que soient les résultats que le processus essaie d'atteindre. Et de ce fait même, les sujets agissants sont impliqués dans toute réflexion sur le processus et dans la réalisation de tout changement le concernant. Voilà ce qui, entre autres, est à la base de l'analyse, de l'intervention et de la formation proposées. Il s'agit toujours de dispositifs qui permettent la rencontre de trois axesl'axe des savoirs méthodologiques venant de la Théorie de l'Action Organisationnelle, que les chercheurs du Programme O&W offrent aux sujets du processus de travail et que ces derniers peuvent s'approprierl'axe des compétences spécifiques de ces sujets, sans lesquelles aucun apprentissage et aucun changement efficace du processus n'est possibleet l'axe de l'épistémologie
processuelle qui permet de mettre en relation les savoirs d'analyse organisationnelle et les compétences intrinsèques au processus de travail.
    Voyons de plus près la connexion qui s'instaure entre la formation et l'analyse du travail dans les deux cas de terrain que nous avons évoqué. La formation apparaît utilisée par les employés de la Compagnie RAS ainsi que par les opérateurs de l'Unité des services sanitaires de la Province de Trento pour l'apprentissage d'une méthode d'analyse du travail. Mais en même temps, cette analyse du travail s'avère être un instrument de formationcela est clairement mis en évidence dans la phase du dispositif où des exemples d'analyse déjà accomplies servent aux sujets concernés pour appréhender les critères d'interprétation et de changement des situations de travail, mais encore plus dans la phase d'expérience d'utilisation de la méthode pour l'interprétation et la transformation de leurs propres situations de travail. On est en présence ici d'un échange mutuel, voire d'un enrichissement réciproque, entre le processus de formation et le processus d'analyse et de changement, qui est rendu possible par la perspective épistémologique adoptée, selon laquelle à la fois la formation et l'analyse (avec le changement qui s'ensuit) ne sont que des sous-processus du processus organisationnel primaire de travail.
    On peut ajouter quelques commentaires concernant l'évaluation des résultats de la formation. Nous avons dit que, selon la perspective proposée, l'efficacité de la formation peut être évaluée en termes des changements mis en œuvre dans le processus primaire de travail, c'est-à-dire en termes d'actions de prévention. Or, dans le cas de la formation menée chez la Compagnie RAS, le résultat a été une capacité acquise par les sujets concernés(a) d'identification des conditions organisationnelles à la source des risques(b) de proposition de choix organisationnels alternatifs en état d'éviter les risques, ce qui réalise totalement le but de prévention primaire. De même dans le cas de l'Hôpital de Trento, les changements observables peuvent être résumés comme suit (a) la mise en évidence des conditions organisationnelles impliquant des risques et de leurs conséquences possibles sur la qualité du travail et sur le bien-être des opérateurs(b) la modification de ces conditions par des solutions alternatives, conçues et réalisées par les opérateurs eux-mêmes(c) la mise en place d'un monitorage continuel par l'utilisation récursive de la méthode d'analyse, qui devient de cette façon un outil ordinaire de travail(d) la réponse exhaustive aux prescriptions des normes sur la prévention, en ce qui concerne à la fois l'élimination des risques à la source et, pour ce faire, l'utilisation de critères scientifiques vérifiables ; (e) la réintégration dans le processus de travail modifié, d'opérateurs qui auraient été mis à l'écart par les situations à risque.
    Faut-il conclure que la formation requise pour maîtriser les situations de travail aux fins de prévention ne peut qu'être une formation conçue selon la perspective épistémologique processuelleMettre en avant une telle affirmation n'est pas ici notre propos. La démarche du Programme O&W permet quand même d'atteindre plusieurs objectifs, que nous désirons souligner en guise de conclusion. Tout d'abord, une réponse complète aux normes européennes et nationales sur la prévention dans les lieux de travailensuite, un lien étroit entre une méthode d'analyse et d'intervention et une formation toutes deux également efficacesenfin, des résultats de formation qui sont simultanément les résultats demandés de changement des conditions de travail, réalisés par les opérateurs mêmes du processus de travail et objectivement évaluables dans ce processus.


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