La 6ème Biennale |
Titre : | L'ARRIVEE DE LA MIXITE A L'EPF : L'ORIGINE FEMININE DE L'ECOLE ATTIRE-T-ELLE LES FILLES ? |
Auteurs : | STEVANOVIC jana |
Texte : |
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Avant de vous présenter les principaux résultats de l'enquête menée auprès des étudiants et étudiantes de l'ex Ecole Polytechnique Féminine, je souhaite vous exposer quelques données statistiques globales et les objectifs de l'étude. Le pourcentage des filles sur l'ensemble des écoles d'ingénieurs stagne autour de 22% depuis 1991. Actuellement, les écoles d'ingénieurs connaissent le taux de féminité le plus faible de l'enseignement supérieur. Cependant, le taux des filles varie selon le mode de recrutement des écoles. C'est-à-dire 26% dans les formations universitaires, 24% dans les écoles recrutant au niveau baccalauréat, 22% dans les écoles recrutant sur le programme des classes préparatoires scientifiques. Aussi, le taux de filles varie d'une école à l'autre : 12% à l'X, 15% à l'Ecole Centrale, mais 30% à l'INSA. Toutefois, l'EPF présente la particularité en comptant le plus grand nombre des filles, 37% en 2000, comparativement à d'autres écoles d'ingénieurs. L'Ecole Polytechnique Féminine a été créée en 1925 par une femme, Marie-Louise Paris, ingénieur elle-même, dans le but de permettre aux femmes l'accès à l'industrie. L'école forme pendant 69 ans des femmes ingénieurs avant de devenir mixte en 1994, en s'ouvrant aux garçons. L'ouverture de l'école aux garçons a entraîné la baisse des effectifs des filles à l'école. L'étude de l'évolution des candidatures des filles avant et après la mixité montre une diminution brutale des candidatures féminines après l'introduction de la mixité à l'école. (Tableau 1)
Si on observe la comparaison des candidatures des filles et des garçons depuis l'introduction de la mixité, (tableau 2) de 1994 à 2000, on constate que le nombre global des candidatures commence à augmenter à partir de 1995 afin de dépasser en quelques années 1000 candidatures. Ce qu'il est intéressant de souligner, c'est que le nombre des candidatures des garçons après 1995 commence à augmenter et on pourra aller jusqu'à dire que parallèlement avec l'augmentation des candidatures sur le plan global, le nombre de candidatures des garçons augmente
Comment expliquer qu'il y ait eu une diminution importante des filles à
l'école ? Où sont-elles parties ? On peut proposer deux hypothèses
: Avec l'arrivée des garçons, l'Ecole Polytechnique Féminine a dû changer de nom. La mixité à l'école a exigé un nouveau nom, car depuis il y a des garçons à l'école et ce qui dérangeait dans l'appellation c'était "féminine". Après plusieurs propositions, la direction de l'école a décidé de ne plus décliné le sigle et l'Ecole Polytechnique Féminine est devenue " l'EPF, école d'ingénieurs ". Aujourd'hui, c'est une école privée en 5 ans, à prépas intégrées, qui recrutent principalement les élèves après le bac. La sélection s'effectue sur dossier et sur les tests complémentaires si le dossier scolaire est moyen ou non significatif. Nous avons cherché à savoir si les filles, une fois admises aux
concours, choisissent cette école plus que les garçons. Pour tenter
de répondre à cette question nous avons étudié les
pourcentages des filles et des garçons entrés à l'école
sur dossier et sur le test d'entrée. L'analyse de variance nous a permis
d'en tirer les conclusions suivantes : Face à ces statistiques, nous cherchons à comprendre pourquoi les filles sont plus nombreuses à choisir cette école, ainsi que de voir quels sont les mécanismes qui poussent les garçons à entrer dans cette école ? En reprenant la thèse de P.Bourdieu et M. de Saint-Martin opposant dans le champ des grandes écoles "grande" et "petite " porte, nous posons l'hypothèse que l'EPF étant une "petite " grande école privée à prépas intégrées, les garçons la choisissent parce qu'elle leur permet, alors qu'ils ont un niveau scolaire insuffisant pour accéder aux classes préparatoires et aux grandes écoles les plus prestigieuses, d'obtenir malgré tout le titre d'ingénieur généraliste, alors que les filles la choisissent parce que l'origine féminine de l'école les rassure et leur redonne confiance d'affronter ce milieu traditionnellement considéré comme un territoire masculin. Quels sont les enjeux qui les poussent à se présenter aux concours ? Se distinguent-ils de ceux des garçons ? Notre recueil de données consiste en trente et un entretiens semi-directifs. Notre communication portera sur l'analyse de huit entretiens. L'analyse thématique, qui consiste à rechercher dans le texte des thèmes et des sous-thèmes, c'est-à-dire à rechercher "les noyaux de sens ", les morceaux du texte dont on peut dégager un sens particulier, nous a permis de distinguer quatre groupes d'élèves : 1. L'école comme dernière chance d'accéder au titre ingénieur
généraliste : les élèves qui après l'échec
en Maths SUP et en Maths SPE entrent à l'école pour obtenir, malgré
tout, le titre d'ingénieur généraliste. L'analyse porte sur quatre axes : choix d'établissement, parcours scolaire,
Un garçon et une fille composant le premier groupe, L'école comme dernière chance d'accéder au titre ingénieur généraliste, ont intégré l'école, le premier après l'échec en maths SUP, la deuxième après l'échec à la fac de médecine. C'est un peu par défaut, faute de mieux qu'ils sont entrés à l'école pour obtenir un diplôme d'ingénieur. Le garçon, qu'on va prénommer Ludovic, après avoir fait un an en maths SUP a pris conscience qu'il n'a pas un niveau assez suffisant pour intégrer après maths SPE une école prestigieuse, ou comme il dit, "quand j'étais en maths SUP, ça se passait ni bien, ni mal en fait, il n'y avait rien de catastrophique, mais j'avais regardé un peu ce qui était un peu près mon niveau, et je me suis dit, j'avais regardé ce qu'il y avait un peu à côté, j'ai vu qu'il y avait des écoles aussi intéressantes que ce que je pourrais avoir en passant les concours, donc je me suis dit ça ne vaut pas vraiment le coup que je travaille dur en SPE pour finalement intégrer pas forcement les écoles qui correspondaient exactement à ce que je voulais et donc je me suis porté sur l'EPF ". Alors que pour la fille, qu'on va prénommer Nathalie, après deux redoublements en première année de la fac de pharmacie, l'EPF était la dernière chance d'obtenir un diplôme d'enseignement supérieur, "j'ai fait ingénieur par défaut ne pouvant pas faire la pharmacie ". Ils ont eu tous les deux la mention "bien " au bac. Pendant toute la scolarité ils étaient de bons élèves et en particulier dans les matières scientifiques (maths et physique), le choix de la filière S s'imposait comme une "suite logique " ou parce que c'est "ce qu'il y avait de plus facile ". Ils entrent à l'école sur titre en deuxième année, Ludovic sur dossier, Nathalie en passant les tests complémentaires. Au moment de l'entretien il était en 5ème année, elle en 3ème. Quant à l'origine féminine de l'école, ça n'a pas du tout joué dans leur choix, "ça n'était pas ni une motivation, ni un obstacle ". Tous les deux évoquent les bons côtés et le bienfait de la mixité sur la mentalité et l'atmosphère de l'école : Ludovic souligne que "le fait d'avoir des filles c'est autre vision de voir des choses et je trouve ça globalement positif au niveau scolaire, notamment au niveau des projets en groupe ", Nathalie mentionne, "à la limite si elle avait été encore uniquement féminine je ne suis pas sûr que je serais venue, parce que je pense, une école où il y a uniquement des filles, c'est une mentalité quand même spéciale, c'est peut-être moins tolérant, plus sérieux. Avec des garçons c'est un peu plus décontracté. C'est plus facile de travailler dans un environnement mixte que, uniquement féminin ". En fait, pour ce profil d'étudiant, la non-mixité représente quelque chose d'historique, utile dans une certaine époque, alors que la mixité représente "une revalorisation réelle de l'école au niveau industriel " car "ça fait plus moderne une école uniquement féminine, ça fait un peu dinosaure ". Le deuxième groupe, L'EPF, l'école désirée, regroupe un garçon, Julien, et une fille, Isabelle. Tous les deux ils ont tenté plusieurs fois les concours avant d'être accepté, elle deux fois après le bac, elle a préféré refaire la terminale et essayer d'entrer à l'EPF que d'intégrer une autre école. C'est le côté généraliste de l'école qui l'attirait, "avec un diplôme d'ingénieur généraliste je pourrais faire un peu près toutes les tâches ". Lui il est entré à l'école après la troisième tentative, la première fois après le bac, la deuxième après la maths SUP et la troisième fois après IUT génie mécanique et productique, c'est la spécialité "ingénieur d'affaires " qui l'a attiré vers cette école. Ils étaient obligés tous les deux de passer les tests. Lui, il n'a pas eu de mention au bac, elle "assez bien ". Ils ont choisi la filière scientifique parce qu'ils étaient bons en maths. Il est en 3ème année, elle en 1ère année. L'origine féminine n'était pas le critère de choix de l'école, d'ailleurs, Julien se sent un peu frustré à l'idée qu'il est rentré dans une école d'origine féminine car lors de l'interview il souligne "elle ne s'appelle plus l'école Polytechnique Féminine, elle s'appelle EPF, c'est pas pour le côté de l'ancienne école ". Julien a une vision des filles dans une école d'ingénieur assez stéréotypé par le partage des territoires : filles-littérature, hommes-sciences, "si vous voulez autrefois la femme n'avait pas le même rôle que l'homme, femme était au foyer souvent et elle avait ses tâches. Et puis pareil pour les grandes entreprises, c'est pas encore entré dans les têtes qu'il peut y avoir des femmes comme tout le monde, les femmes qui soient poussées en électronique, en informatique, ça s'est pas encore entré, on a encore l'image de l'informaticien, c'est la personne qui est avec ses lunettes collée devant son ordinateur ". Pour lui une école d'ingénieur signifie - la technique, de même les filles ne sont pas faites pour la technique, celles qui y sont entrées sont en quelque sorte des garçons manqués, "déjà il a le côté technique et c'est pas comme on peut s'imaginer comme les gens peuvent s'imaginer dans une école de commerce, dans les écoles de commerce il y a toujours plein de filles. Et quand on parle des filles dans une école d'ingénieur on s'attend au pire ". Pour Isabelle le caractère féminin n'était pas le point décisif mais secondaire, elle affirme qu'elle savait qu'il y avait plus de filles que dans d'autres écoles et qu'elle s'est dit qu'elle aurait plus de l'aide au niveau de l'intégration. Le troisième groupe, L'école, la continuation de l'histoire familiale, est représenté par deux filles, Caroline qui a eu une sur à l'école pendant que c'était encore non-mixte et Magali dont ces deux tantes ont fait l'école dans les années 70. Ces deux filles ont choisi l'EPF parce que dans la famille on connaissait bien l'école, elles savaient que l'EPF était une bonne école ou comme dit Caroline, "je savais où j'allais ". La position Caroline vis-à-vis de la mixité de l'école se traduit à travers l'augmentation du niveau de l'école depuis la mixité, "le niveau a augmenté beaucoup puisqu'il y a plus de monde à s'inscrire donc il y a plus de sélection ", c'est-à-dire une école uniquement féminine signifie la dévalorisation alors que la présence des garçons à l'école signifie une reconnaissance et une valorisation de l'école et de titre ingénieur EPF. D'ailleurs si c'était toujours une école pour les filles, elle ne serait pas entrée. Quant à Magali, elle déclare que l'origine féminine n'a pas influencé son choix, mais elle reconnaît que le fait de se retrouver dans une école où il y a beaucoup de filles, avait un côté positif, "qu'il y ait plus de filles, ça m'a plu parce que je pense que c'est vrai que c'était agréable d'être parfois entre les filles, il y a une autre ambiance que seulement avec des garçons. Puis elle dit aussi qu'elle ressentait une certaine fierté d'avoir tant de filles autour d'elle et de voir que toutes ces filles vont devenir ingénieurs. A travers ce témoignage on voit que pour cette fille la vision de la science et d'ingénierie est considérée comme un domaine masculin, une certaine proportion des filles se montre rassurante sur le plan psychologique et pour ses projets professionnels. Concernant la mixité à l'école, toutes les deux, en référence avec les propos des personnes de leur famille qui fréquentaient l'école, soulignent que la présence des garçons à l'école a beaucoup d'impact sur l'atmosphère, "c'est un peu plus décontracté, moins consciencieux ". Pendant leur scolarité, toutes les deux étaient de bonnes élèves dans toutes les matières, le choix de la filière S est considéré comme facteur positif qui ouvrait les portes de toutes les filières et offrait plein de débouchés. Magali qui a eu mention "assez bien " au bac a dû faire des tests complémentaires pour entrer à l'école, alors que Caroline qui a eu mention " Bien " était prise sur dossier. Elles sont entrées en première année à l'école. Magali est en 5ème année, Caroline en 4ème. Le quatrième groupe, L'école et ses prépas intégrées, possibilité d'obtenir un diplôme d'ingénieur en évitant les classes préparatoires classiques, est représenté par une fille et un garçon qui ont choisi l'école dans le but d'éviter les classes préparatoires scientifiques. Ils ont tous les deux mention "assez bien " au bac et ils sont entrés sur dossier à l'école. Concernant l'origine féminine de l'école, tous les deux déclarent que ça n'a pas orienté leur choix. Conclusion Concernant la présence des filles à l'école, les garçons pensent que l'école a réussi la mixité, car 37% des filles à l'école pour eux déjà représente la mixité, une mixité équilibrée par rapport aux autres écoles avec 10-15% des filles. Les filles et les garçons évoquent les côtés positifs
de la mixité sur la vie à l'école, c'est-à-dire,
que les mentalités et l'atmosphère du travail sont différents,
plus tolérants. L'origine féminine dans aucun cas n'a pas influencé
le choix de l'orientation. Une fois entrées à l'école certaines
filles déclarent que le fait d'avoir plus de filles dans l'entourage
a facilité leur intégration à l'école et les a rassurées
dans leur choix professionnel, de voir entant de filles qui vont devenir ingénieur.
Mais, ils sont tous d'accord, filles comme garçons, ils refusent la non-mixité
et le retour à la non-mixité, considérée comme quelque
chose d'historique et dépassé, utile dans une certaine époque.
La mixité de l'enseignement pour ces nouvelles générations
d'ingénieurs est acquise et tout à fait légitime car la
société est mixte, le monde du travail est mixte, donc il faut
commencer à s'habituer au mélange des sexes déjà
à l'école. |