Vecteur d'éducabilité (Meirieu, Berbaum) et d'universalité
(Meirieu), l'art perçu comme moyen d'expression est un principe commun
à l'histoire de l'art, à la danse, à la musique et aux
arts plastiques. Bien qu'elle ne figure pas parmi les disciplines dites "
majeures " (Tardif-Lessard), l'histoire de l'art est un champ notionnel
présent dans différents circuits de formation en milieu scolaire.
En Belgique, deux universités assurent la formation des maîtres
d'histoire de l'art pour les lycées. A l'Université Libre de Bruxelles
(université non confessionnelle), depuis une dizaine d'années,
nous avons ouvert la formation des enseignants sur le guidage culturel.
Cette extension est une innovation tributaire de l'évolution du métier
dans les disciplines artistiques. Les transformations sociales et les enjeux
économiques trouvent un écho dans la volonté de professionnalisation
des acteurs. L'enseignant n'est plus confiné dans sa classe : il favorise
la découverte de l'environnement par une rencontre des uvres et
des lieux. De plus, la demande sociale de formation s'accroît et les publics
sont de plus en larges : nos partenaires sont des groupes-classes de l'enseignement
primaire, secondaire et supérieur dans les filières générales,
techniques, professionnelles et " spéciales " (pour enfants
handicapés), des adultes en formation, des mères de famille et
des enfants immigrés et membres d'associations de quartier, des musées...
Nous travaillons avec ces publics très variés sur tous les terrains
culturels : établissements scolaires, musées, galeries d'art,
sites urbains.
La diversification des modes d'intervention nous conduit à nous interroger
sur les compétences visées et sur celles mises en uvre par
les stagiaires.
Dans le cadre d'une unité de recherche en didactique d'histoire de l'art,
nous avons mené une première étude comparative de la compétence
à communiquer dans l'interaction des futurs enseignants des disciplines
artistiques, soit des enseignants de la musique inscrits au Centre de Formation
des Enseignants de la Musique d'Ile-de-France à Rueil-Malmaison et des
enseignants-guides d'histoire de l'art et archéologie de l'Université
Libre de Bruxelles (Cramer, Lammé et Regnard).
Les résultats nous ont incité à approfondir notre recherche
sur deux axes :
§ Les représentations : quel mode d'intervention les futurs enseignants
d'histoire de l'art disent-ils privilégier dans leurs contacts avec un
groupe avant leur formation ?
§ L'identification des compétences : quelles composantes de l'interaction
identifient-ils dans leurs premières activités ?
Notre échantillon est constitué de trois cohortes de futurs enseignants-guides
d'histoire de l'art et archéologie (1999-2002) soit 13 stagiaires qui
ont achevé avec succès leur formation. Pour notre analyse qualitative,
nous travaillons actuellement sur les items d'un corpus de quatre types de documents
:
§ Les fiches d'entrée que les étudiants remplissent lors
de la première séance de didactique d'histoire de l'art et archéologie.
Ces documents nous informent sur les représentations des futurs enseignants
et guides à partir de trois pistes :
o Le mode d'expression en public
o L'expérience de la communication
o La prise de position dans l'altérité.
§ Les préparations écrites des micro-visites guidées
organisées dans des galeries d'art. Ces séances sont une actualisation
du micro-enseignement étendu à la visite guidée et font
partie d'activités didactiques préalables au stage accompagné
et au stage en responsabilité.
§ Les enregistrements de ces séances de micro-guidage d'une durée
de 6 à 12 minutes.
§ Les fiches d'observation des deuxième et troisième micro-visites
complétées par les stagiaires sur base d'une question centrale
: la communication et ses facteurs, favorables et défavorables.
§ Des bilans de compétences au terme des activités antérieures
au stage.
La pratique réflexive (Schön) est constitutive de l'identité
professionnelle des enseignants (Campanale-Dessus, Daele). Pour éviter
la déception qui guette ces derniers quand ils affrontent les réalités
de l'école (Perrenoud), la formation ne peut être un habillage
: elle doit modifier la perception de l'acte d'éducation et les modes
d'action. Dans une perspective constructiviste, le regard que les intéressés
portent sur leur formation (Amigues-Saujat, Michel) et l'analyse des compétences
(Paquay, Altet, Charlier, Perrenoud) sont des ancrages nécessaires à
la convergence entre le modèle pédagogique du formé et
celui du formateur (Develay).
Le dépouillement de notre corpus est en cours mais, parmi les premiers
résultats, nous retiendrons :
§ L'initialisation du processus " dire > écouter ".
Pour la majorité des étudiants qui s'inscrivent dans la formation,
enseigner c'est d'abord dire son savoir, transmettre (sa) passion. La tendance
à l'exposé est très marquée, posture isomorphe intériorisée
au fil du curriculum. L'écoute est progressive : l'intérêt
du futur enseignant pour les représentations de ses pairs ouvre une brèche
dans son système personnel de pilotage de l'enseignement (Astolfi). Les
premières questions suscitent l'émergence de ces représentations
sans que les réponses ne modifient les séquences didactiques telles
que le stagiaire-formateur les prévoit.
§ La volonté de professionnalisation des stagiaires par une définition
originale de la communication dans une sphère pré-professionnelle.
Cette tension (Meirieu) vers le métier d'enseignant, cette " mise
en projet " se manifeste sous deux formes :
o Affirmation du besoin d'une critique des formateurs : les stagiaires apprécient
moins une évaluation standardisée qu'une analyse détaillée
de la situation didactique sur un modèle qui leur sert de grille d'observation
des situations organisées par des pairs ou par des professionnels.
o Critique a posteriori des activités par les acteurs qui témoigne
d'une mise à distance, d'une prise de conscience, d'un besoin de réflexivité
sur l'action.
La communication est alors entendue par les futurs enseignants dans un sens
large, celle de l'inter-action, de l'action inter-subjective. Pointons quelques
composantes favorables : l'adresse directe au(x) participant(s), le contact
avec l'uvre (l'uvre dit : je ne suis pas une céramique),
la disponibilité, le fait de laisser le temps de répondre, l'exploitation
des réponses è valorisation des participants, l'image de soi (assurance,
dynamisme, humour, souplesse, implication personnelle, passion), l'occupation
de l'espace (mobilité, aisance des déplacements), la gestuelle
des mains.
Parmi les composantes défavorables à l'inter-action, nous mentionnerons
: la transmission, l'énonciation de consignes pendant un exercice, l'absence
de matériel didactique (personnalisé), les bras croisés,
le regard tourné vers l'uvre et le dos vers les participants, l'auto-censure
(zut, j'ai oublié)...
§ L'acceptation progressive de l'instabilité, du doute, de l'incertain,
du différent par le silence.
Pour les stagiaires, un échange minuté dans une communication
par questions (la classe dialoguée dirait Astolfi) ressemble à
une partie de ping-pong. Dans 23 % des situations organisées avant les
leçons et les visites avec des groupes scolaires, des activités
de manipulation (fabrication d'une corde, élaboration d'une " rose
" chromatique), d'écriture (cadavre exquis) ou de dessin (analyse
de composition) viennent casser ce dispositif. Mais elles engendrent à
leur tour l'inquiétude : que faire pendant que le groupe travaille ?
Faut-il parler, continuer dans la matière
? Le silence qui s'installe
(en conformité avec la préparation écrite) peut être
dérangeant. Le silence, c'est le " trou ", l'oubli, la gêne,
la solitude
L'enseignant tombe à court de matière, il a
l'esprit brouillé. Quand les participants sont invités à
circuler librement dans une galerie d'art pour observer des sculptures, le stagiaire
propose un fond musical pour meubler le silence. Pourtant, tous s'accordent
sur l'importance du silence : utile à la réflexion, il permet
de se concentrer sur l'uvre
Les moments de silence (introduisent
une) respiration. Mais il faut vaincre sa peur et concéder du terrain.
Le silence est alors préféré à une élocution
trop rapide, reflet d'une maîtrise cognitive sans contact avec les autres.
§ La place de l'autre dans le silence " actif ".
Dans notre échantillon, plus de 46 % des futurs enseignants-guides d'histoire
de l'art jouent volontairement sur le silence, le silence agissant - à
ne pas confondre avec un espace-temps vide de sens.
Le danger, pour certains étudiants, sera de distinguer, en stage, l'élève
perdu dans ses rêveries de celui qui s'implique dans la situation. En
classe, le silence signifie souvent que les élèves dorment. Il
faut que les élèves pensent " vraiment " pendant ces
moments de silence.
Les futurs enseignants-guides estiment qu'il leur incombe de trouver une place
pour les élèves dans le silence car il faut rendre ce silence
actif.
Nos analyses nous confortent dans notre option socio-constructiviste de refus
d'un référentiel de compétences externe. Le regard sur
soi se développe dès les activités préparatoires
: il induit une réflexivité modulée par l'expérience
en milieu professionnel dans une perception dynamique des enjeux éducatifs.
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