La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Comment analyser et comprendre, les situations pédagogiques et didactiques ?


Titre : Entre action et silence : l'échange dans la formation des enseignants-guides d'histoire de l'art
Auteurs : Evelyn CRAMER Unité de Recherche en Didactique d'Histoire de l'Art et Archéologie Université Libre de Bruxelles - CP. 175 Agrégation à l'Enseignement secondaire sup&

Texte :
Vecteur d'éducabilité (Meirieu, Berbaum) et d'universalité (Meirieu), l'art perçu comme moyen d'expression est un principe commun à l'histoire de l'art, à la danse, à la musique et aux arts plastiques. Bien qu'elle ne figure pas parmi les disciplines dites " majeures " (Tardif-Lessard), l'histoire de l'art est un champ notionnel présent dans différents circuits de formation en milieu scolaire.

En Belgique, deux universités assurent la formation des maîtres d'histoire de l'art pour les lycées. A l'Université Libre de Bruxelles (université non confessionnelle), depuis une dizaine d'années, nous avons ouvert la formation des enseignants sur le guidage culturel.
Cette extension est une innovation tributaire de l'évolution du métier dans les disciplines artistiques. Les transformations sociales et les enjeux économiques trouvent un écho dans la volonté de professionnalisation des acteurs. L'enseignant n'est plus confiné dans sa classe : il favorise la découverte de l'environnement par une rencontre des œuvres et des lieux. De plus, la demande sociale de formation s'accroît et les publics sont de plus en larges : nos partenaires sont des groupes-classes de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur dans les filières générales, techniques, professionnelles et " spéciales " (pour enfants handicapés), des adultes en formation, des mères de famille et des enfants immigrés et membres d'associations de quartier, des musées... Nous travaillons avec ces publics très variés sur tous les terrains culturels : établissements scolaires, musées, galeries d'art, sites urbains.

La diversification des modes d'intervention nous conduit à nous interroger sur les compétences visées et sur celles mises en œuvre par les stagiaires.
Dans le cadre d'une unité de recherche en didactique d'histoire de l'art, nous avons mené une première étude comparative de la compétence à communiquer dans l'interaction des futurs enseignants des disciplines artistiques, soit des enseignants de la musique inscrits au Centre de Formation des Enseignants de la Musique d'Ile-de-France à Rueil-Malmaison et des enseignants-guides d'histoire de l'art et archéologie de l'Université Libre de Bruxelles (Cramer, Lammé et Regnard).

Les résultats nous ont incité à approfondir notre recherche sur deux axes :
§ Les représentations : quel mode d'intervention les futurs enseignants d'histoire de l'art disent-ils privilégier dans leurs contacts avec un groupe avant leur formation ?
§ L'identification des compétences : quelles composantes de l'interaction identifient-ils dans leurs premières activités ?
Notre échantillon est constitué de trois cohortes de futurs enseignants-guides d'histoire de l'art et archéologie (1999-2002) soit 13 stagiaires qui ont achevé avec succès leur formation. Pour notre analyse qualitative, nous travaillons actuellement sur les items d'un corpus de quatre types de documents :
§ Les fiches d'entrée que les étudiants remplissent lors de la première séance de didactique d'histoire de l'art et archéologie. Ces documents nous informent sur les représentations des futurs enseignants et guides à partir de trois pistes :
o Le mode d'expression en public
o L'expérience de la communication
o La prise de position dans l'altérité.
§ Les préparations écrites des micro-visites guidées organisées dans des galeries d'art. Ces séances sont une actualisation du micro-enseignement étendu à la visite guidée et font partie d'activités didactiques préalables au stage accompagné et au stage en responsabilité.
§ Les enregistrements de ces séances de micro-guidage d'une durée de 6 à 12 minutes.
§ Les fiches d'observation des deuxième et troisième micro-visites complétées par les stagiaires sur base d'une question centrale : la communication et ses facteurs, favorables et défavorables.
§ Des bilans de compétences au terme des activités antérieures au stage.

La pratique réflexive (Schön) est constitutive de l'identité professionnelle des enseignants (Campanale-Dessus, Daele). Pour éviter la déception qui guette ces derniers quand ils affrontent les réalités de l'école (Perrenoud), la formation ne peut être un habillage : elle doit modifier la perception de l'acte d'éducation et les modes d'action. Dans une perspective constructiviste, le regard que les intéressés portent sur leur formation (Amigues-Saujat, Michel) et l'analyse des compétences (Paquay, Altet, Charlier, Perrenoud) sont des ancrages nécessaires à la convergence entre le modèle pédagogique du formé et celui du formateur (Develay).

Le dépouillement de notre corpus est en cours mais, parmi les premiers résultats, nous retiendrons :
§ L'initialisation du processus " dire > écouter ".
Pour la majorité des étudiants qui s'inscrivent dans la formation, enseigner c'est d'abord dire son savoir, transmettre (sa) passion. La tendance à l'exposé est très marquée, posture isomorphe intériorisée au fil du curriculum. L'écoute est progressive : l'intérêt du futur enseignant pour les représentations de ses pairs ouvre une brèche dans son système personnel de pilotage de l'enseignement (Astolfi). Les premières questions suscitent l'émergence de ces représentations sans que les réponses ne modifient les séquences didactiques telles que le stagiaire-formateur les prévoit.
§ La volonté de professionnalisation des stagiaires par une définition originale de la communication dans une sphère pré-professionnelle.
Cette tension (Meirieu) vers le métier d'enseignant, cette " mise en projet " se manifeste sous deux formes :
o Affirmation du besoin d'une critique des formateurs : les stagiaires apprécient moins une évaluation standardisée qu'une analyse détaillée de la situation didactique sur un modèle qui leur sert de grille d'observation des situations organisées par des pairs ou par des professionnels.
o Critique a posteriori des activités par les acteurs qui témoigne d'une mise à distance, d'une prise de conscience, d'un besoin de réflexivité sur l'action.
La communication est alors entendue par les futurs enseignants dans un sens large, celle de l'inter-action, de l'action inter-subjective. Pointons quelques composantes favorables : l'adresse directe au(x) participant(s), le contact avec l'œuvre (l'œuvre dit : je ne suis pas une céramique), la disponibilité, le fait de laisser le temps de répondre, l'exploitation des réponses è valorisation des participants, l'image de soi (assurance, dynamisme, humour, souplesse, implication personnelle, passion), l'occupation de l'espace (mobilité, aisance des déplacements), la gestuelle des mains.
Parmi les composantes défavorables à l'inter-action, nous mentionnerons : la transmission, l'énonciation de consignes pendant un exercice, l'absence de matériel didactique (personnalisé), les bras croisés, le regard tourné vers l'œuvre et le dos vers les participants, l'auto-censure (zut, j'ai oublié)...
§ L'acceptation progressive de l'instabilité, du doute, de l'incertain, du différent par le silence.
Pour les stagiaires, un échange minuté dans une communication par questions (la classe dialoguée dirait Astolfi) ressemble à une partie de ping-pong. Dans 23 % des situations organisées avant les leçons et les visites avec des groupes scolaires, des activités de manipulation (fabrication d'une corde, élaboration d'une " rose " chromatique), d'écriture (cadavre exquis) ou de dessin (analyse de composition) viennent casser ce dispositif. Mais elles engendrent à leur tour l'inquiétude : que faire pendant que le groupe travaille ? Faut-il parler, continuer dans la matière… ? Le silence qui s'installe (en conformité avec la préparation écrite) peut être dérangeant. Le silence, c'est le " trou ", l'oubli, la gêne, la solitude… L'enseignant tombe à court de matière, il a l'esprit brouillé. Quand les participants sont invités à circuler librement dans une galerie d'art pour observer des sculptures, le stagiaire propose un fond musical pour meubler le silence. Pourtant, tous s'accordent sur l'importance du silence : utile à la réflexion, il permet de se concentrer sur l'œuvre… Les moments de silence (introduisent une) respiration. Mais il faut vaincre sa peur et concéder du terrain. Le silence est alors préféré à une élocution trop rapide, reflet d'une maîtrise cognitive sans contact avec les autres.
§ La place de l'autre dans le silence " actif ".
Dans notre échantillon, plus de 46 % des futurs enseignants-guides d'histoire de l'art jouent volontairement sur le silence, le silence agissant - à ne pas confondre avec un espace-temps vide de sens.
Le danger, pour certains étudiants, sera de distinguer, en stage, l'élève perdu dans ses rêveries de celui qui s'implique dans la situation. En classe, le silence signifie souvent que les élèves dorment. Il faut que les élèves pensent " vraiment " pendant ces moments de silence.
Les futurs enseignants-guides estiment qu'il leur incombe de trouver une place pour les élèves dans le silence car il faut rendre ce silence actif.

Nos analyses nous confortent dans notre option socio-constructiviste de refus d'un référentiel de compétences externe. Le regard sur soi se développe dès les activités préparatoires : il induit une réflexivité modulée par l'expérience en milieu professionnel dans une perception dynamique des enjeux éducatifs.


ALTET M., CHARLIER E., PAQUAY L. et PERRENOUD P. (1996), Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ? Bruxelles, De Boeck.
AMIGUES R. - SAUJAT F. (1999), " La formation initiale des professeurs vue par les intéressés : une approche ergonomique ". Actes du troisième Congrès international Actualité de la Recherche en Education et Formation. Université Victor-Segalen, Bordeaux 2-AECSE, 28, 29 et 30 juin 1999.
ASTOLFI J.-P. (1992), L'école pour apprendre. Paris, ESF Editeur.
BERBAUM J. (1991), Développer la capacité d'apprendre. Paris, ESF Editeur (4e éd. 1995).
BOSMAN C., GERARD D. et ROEGIERS X (2000), Quel avenir pour les compétences ? Bruxelles, Editions DeBoeck Université-Larcier.
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