INTRODUCTION
Dans le cadre d'une thèse en cours, sous la direction de Nicole MOSCONI, portant sur le corps des inspecteurs/trices
de l'Éducation nationale chargés d'une circonscription du premier
degré, nous nous proposons d'étudier les parcours des personnels
qui s'engagent dans cette carrière ainsi que les pratiques professionnelles
qu'ils/elles mettent en uvre au moyen du croisement de trois méthodes
: un questionnaire afin de caractériser le corps, des entretiens visant
la compréhension des motivations et des parcours qui seront complétés
par un outil de description d'emploi du temps permettant de préciser
la gestion des tâches et du temps de travail selon les variables sexe,
corps d'origine et ancienneté dans la fonction, enfin l'analyse de discours
d'un corpus de rapports d'inspection.
C'est pour connaître l'état de l'école en France que le
ministre GUIZOT crée le corps des inspecteurs primaires en 1833. Progressivement,
celui-ci va se constituer et s'affirmer comme la volonté de l'État
de ne pas laisser l'école et les maîtres soumis aux pouvoirs locaux.
C'est donc à la fois une mission de surveillance et de renseignement
qui est demandée aux inspecteurs.
Les inspecteurs sont donc chargés d'inspecter les maîtres en poste
dont ils sont les supérieurs hiérarchiques, d'organiser le fonctionnement
de la circonscription dans laquelle ils travaillent, d'en effectuer l'animation
pédagogique et les fonctions de représentation. Ce sont les quatre
fonctions " historiques " qui continuent aujourd'hui d'exister.
Ce corps est uniquement constitué d'hommes à l'origine, les femmes peuvent
y accéder par la circulaire de 1882 qui est plus une circulaire favorisant
le recrutement de directrices d'écoles normales compte tenu des peurs
de la mixité qui traversent le XIXe siècle. Cette présence
reste néanmoins très minoritaire jusqu'à la fin des années
1980.
Jusqu'en 1972, date à laquelle ils sont unifiés, il existe deux
corps d'inspection pour le premier degré. D'une part, le corps des inspecteurs/trices
primaires et d'autre part, le corps des I.D.E.M. inspectrices départementales
de l'école maternelle avec des recrutements séparés. Nous
n'utiliserons pour cette présentation que les données concernant
les inspecteurs/trices primaires pour la période antérieure à
1972.
Très stable pendant près d'un siècle, ce corps subit depuis
les années 1968 des transformations progressives qui en modifient le
fonctionnement. Nous retiendrons dans notre analyse sur le recrutement trois
périodes caractéristiques entre 1945 et 1999 sous l'angle de deux
variables : sexe et corps d'origine.
Il y a aujourd'hui en France environ 1600 I.E.N. du premier degré.
1. Les données retenues pour l'analyse
1.1. Origine des données
Les données du concours de recrutement des I.E.N. du premier degré
pour la période couvrant les années 1880 à 1989 sont extraites
de la thèse de Jean FERRIER .
Les données couvrant la période à partir de 1991 sont extraites
des rapports de jurys du concours de recrutement des inspecteurs de l'Éducation
nationale .
En ce qui concerne l'année 1990, compte tenu de la modification de statut
intervenue en juillet 1990, de l'organisation du concours qui se déroule
sur l'année scolaire 1990-1991, l'année 1990 n'a pas vu le recrutement
d'inspecteurs/trices.
1.2. Périodes considérées
1.2.1. Période de 1880 à 1944
Quelques éléments sont à remarquer avant de commencer l'analyse
des données. Elles concernent en premier lieu la période allant
de 1880 à 1944 :
- La première distinction hommes femmes dans les statistiques de recrutement
apparaît en 1915 où sur 30 candidates, 9 ont été
admises au concours. C'est d'ailleurs la seule année durant la Première
Guerre Mondiale où un concours de recrutement est organisé. Ce
concours semble avoir été uniquement féminin.
- Les premières données qui distinguent hommes et femmes dans
le recrutement apparaissent en 1925 pour les admis. Sur un total de 29 inspecteurs
on trouve 9 femmes et 20 hommes soit 31%.
- En 1926, apparaissent les statistiques concernant les candidats, pour un total
de 160 candidats nous comptons 129 hommes et 31 femmes soit 19%. Chez les admis
au nombre de 28 nous pouvons constater la présence de 22 hommes et 6
femmes soit 21.5%.
- Les années 1927, 1928 et 1929 ne disposent pas des statistiques concernant
les hommes et les femmes tant au niveau des candidats que des reçus.
- Les années 1930 se caractérisent par une bonne proportion de
renseignement des données hommes et femmes. Durant cette période
6 concours sont organisés et à chaque fois les données
hommes et femmes sont renseignées.
- La période 1939-1944 n'est pas renseignée par l'absence de concours
ou de données sur le recrutement.
- Le deuxième élément remarquable est celui des données
sur la distinction de l'origine professionnelle des candidats et des reçus.
- La distinction entre candidats du premier et du second degré est renseignée
dès 1882 et cela sans interruption jusqu'au début de la deuxième
guerre mondiale mis à part la période de la première guerre
mondiale et les années 1922 à 1924 où il n'y a aucune données.
Conclusion sur la période : La simple observation de ces faits nous permet
de constater que sur la période de 1880 à 1939, nous disposons
d'environ (51/66) 77.3% des données concernant la distinction
premier et second degré et (9/66) seulement 13.6% concernant la
distinction hommes/femmes.
1.2.2. Période 1944 à 1999
En reprenant la même analyse pour la distinction hommes femmes et la distinction
de l'origine professionnelle que sur la période précédente,
nous obtenons les données suivantes : la distinction premier et second
degré est renseignée dans (29/52 jusqu'en 1999) soit 55.8%
et la distinction Hommes / Femmes dans (33/52 jusqu'en 1999) soit 63.5%.
Nous constatons ainsi une modification importante par rapport à la période
précédente. Elle cache cependant de grandes disparités.
La variation des méthodes de renseignement des données ne permet
d'exploiter l'ensemble des données pour toutes les années aussi
bien pour la distinction hommes femmes que pour l'origine professionnelle.
1.3. Périodes retenues pour l'analyse
La période de statistiques utilisées est celle qui couvre l'ensemble
des années depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale de 1945-46
à 1999. Elle couvre une période de 54 ans mais ne compte que 52
lignes de données compte tenu des méthodes de saisie des données
qui varient en fonction des années. Ainsi, sur la période 1945-1962,
les années de recrutement sont notées sur deux ans (1945-46, 1946-47
)
avec une rupture en 1948 ce qui explique les deux années manquantes.
Pour cette analyse, trois périodes seront retenues :
1.3.1. Période 1 : 1945-1962
Période numéro 1 : de 1945 à 1962, soit une période
de 15 ans. Les statistiques de recrutement hommes et femmes sont renseignées
sur 13 ans et les statistiques de l'origine professionnelle sont renseignées
sur 8 ans. Cette période correspond à ce que nous pouvons qualifier
" d'âge d'Or " de l'inspection primaire. Elle est représentative
de la période de grande stabilité.
1.3.2. Période 2 : 1976-1986
Période numéro 2 : la deuxième période considérée
est celle qui couvre les années de 1976 à 1986, soit une période
de 11 ans. Les statistiques de recrutement hommes et femmes sont renseignées
sur 11 ans et les statistiques de l'origine professionnelle sont renseignées
sur 5 ans. Cette période correspond à la période de la
remise en cause de l'inspection et au passage progressif de l'inspection notation
à l'évaluation par le télex du ministre en 1983. Cette
période est d'autre part marquée par de meilleures conditions
d'accès à la fonction pour les enseignants du secondaire. En effet,
les textes en vigueur indiquent que 75% des admis doivent provenir des catégories
I.
1.3.3. Période 3 : 1991-1999
Période numéro 3 : la dernière période couvre les
années à partir de 1991 après le changement des modalités
de recrutement. L'évolution des moyens informatiques permet de disposer
de données plus nombreuses. L'analyse de la période montre un
retour progressif et important des enseignants du Premier degré.
2. Le contexte de l'école
Mais avant de commencer, arrêtons-nous rapidement sur le contexte de l'école
en France aujourd'hui. Il faut savoir en effet que les inspecteurs/trices sont
recrutés parmi les membres de l'Éducation nationale. Les enseignants
en fournissent d'ailleurs le plus grand nombre.
2.1. Le personnel enseignant
Les vingt dernières années marquent un double phénomène
: d'une part, le nombre d'enseignants dans le premier degré est stable
et d'autre part dans le second degré il reste en forte augmentation (environ
75 000 postes). En 1999, le nombre d'enseignants du primaire est de 315 280.
Dans le second degré il est de 412 760 enseignants .
Aujourd'hui, il y a environ trois enseignantes pour un enseignant dans le premier
degré.
La situation du Second degré est, quant à elle, différente.
Le taux de féminisation atteint aujourd'hui 57% mais recouvre des réalités
très différentes en fonction des matières enseignées
et des niveaux d'enseignement (collège, lycée).
Les femmes sont donc largement majoritaires dans les personnels de l'Éducation
nationale avec plus de 63% de l'ensemble des personnels (enseignants et non
enseignants). Cette proportion reste stable au cours de la dernière décennie.
L'analyse de ces nombres demanderait cependant une étude plus approfondie
en fonction des postes occupés dont il semble qu'ils soient plus féminisés
lorsqu'ils se situent dans les personnels de catégories C et D.
2.2. La répartition H/F dans le premier degré
L'enseignement dans le premier degré, l'école primaire est constituée
des écoles maternelles et des écoles élémentaires.
Les femmes sont majoritaires dans les deux écoles, nous notons cependant
la présence des hommes de manière plus importante dans les écoles élémentaires.
En effet, depuis sa création, l'école maternelle est largement
concédée aux femmes
Le corps des enseignants du premier degré comporte des institutrices
et des professeures des écoles. Il faut noter que le taux de féminisation
est en augmentation depuis le début des années quatre vingt-dix
avec une progression de trois points .
Si, aujourd'hui, il y a trois enseignantes pour un enseignant dans le premier
degré, il n'en a pas toujours été de même. C'est
au cours de la Troisième République que la situation s'inverse
juste avant le début de la Première Guerre Mondiale. Ainsi, la
population enseignante passe-t-elle de 89% d'hommes et 11% de femmes en 1843
à 47% d'hommes et 53% de femmes en 1913 puis à 34% d'hommes et
66% de femmes en 1969.
3. Les variables de recherche
Comme nous l'avons déjà dit, les deux variables retenues sont
la variable sexe et la variable corps d'origine.
Tout d'abord la variable corps d'origine qui est observée depuis la création
du concours à partir de la volonté de l'administration de pousser
les enseignants du second degré vers la carrière d'inspecteur
au détriment des instituteurs..
La variable sexe n'est, quant à elle, étudiée que depuis
le début des années 1980. Nous allons tenter d'observer s'il existe
d'éventuels effets sur le recrutement des inspecteurs/trices.
4. Présentation des résultats
4.1. Le jury du concours de recrutement depuis 1991
L'analyse de la variance dans le cas qui nous occupe et une technique statistique
qui permet de déterminer s'il existe entre deux populations des variations
qui ne relèvent pas du hasard. Nous comparons la variabilité à
l'intérieur d'un groupe, puis de l'autre puis la variabilité entre
les deux groupes.
Dans ce premier cas la variable de limite attendue est 4.94 mais le F statistique
est de 152.94 soit 33 fois avec un risque d'erreur quasiment nul même
si on observe une légère augmentation de leur nombre sur les deux
dernières années. Il est à noter que si sur le plan théorique,
le F statistique indique seulement qu'il y a un effet de la variable, il n'en
indique pas la force. Sur le plan pratique, nous pouvons cependant indiquer
que l'effet est important. Nous pouvons donc conclure que sur la sélection
du jury il y a manifestement un effet de la variable sexe où les femmes
sont manifestement sous représentées
4.2. Évolution nombre de postes au concours de recrutement IEN
La simple observation du nombre de postes offerts au concours de recrutement
montre une période de stabilité sur la période 1, une nette
augmentation du nombre de postes sur la période 2 due aux manques de
nominations des années antérieures. En effet, nombres de circonscriptions
sont vacantes et occupées par des inspecteurs/trices faisant fonction.
La période 3 est caractérisée par un retour à la
stabilité en terme de postes avec des nombres sensiblement égaux
à la période 1.
4.3. Évolution nombre de candidats au concours de recrutement
L'évolution du nombre de candidats sur la totalité de la période
est parallèle au nombre de postes avec une forte stabilité sur la
période 1, une importante augmentation au cours de la période 2
avec une présence très importante des candidats du second degré
valorisée par un concours favorable et des quotas de postes réservés.
Une décroissance des effectifs au cours de la période 3 qui peut
s'expliquer par la modification de la forme du concours et le déclin de
la présence des candidats du second degré.
4.4. Étude de la variable sexe par rapport aux admis
Le graphique présenté exprimé en pourcentages nous montre
une augmentation de la présence des femmes chez les admis au concours de
recrutement. Cette augmentation s'accélère nettement après
le début des années 90.
Une analyse de la variance sur la totalité de la période indique
un F statistique de 50.089 pour une valeur critique de 3.991 indiquant un effet
de la variable sexe. Comme dans le cas des membres du jury du concours, le F
statistique n'indique pas la force de l'effet mais celui-ci semble être
important.
Le même calcul opéré sur les trois périodes montre
les résultats suivants :
- pour la période 1 : le F statistique est de 65.648 pour une valeur
critique de 4.260
- pour la période 2 : le F statistique est de 24.444 pour une valeur
critique de 4.414
- pour la période 3 : le F statistique est de 8.170 pour une valeur critique
de 4.494
En conclusion, nous pouvons dire que la variable sexe bien que longtemps ignorée
a eu et a un effet sur le recrutement même si cet effet semble aujourd'hui
diminuer. Des tests complémentaires devront être effectués
afin d'évaluer précisément la force de celui-ci sur chaque
période.
4.5. Étude de la variable corps d'origine par rapport aux admis
Le graphique présenté en pourcentages nous indique une présence
majoritaire des personnels du premier degré sur la période 3 après
une présence majoritaire des personnels du second degré sur la période
2. La période 1 se caractérise quant à elle par une égale
répartition selon les années en les personnels du premier et second
degré.
L'analyse de variance de la variable corps d'origine sur la totalité
de la période montre qu'il n'y a pas d'effet significatif avec un F statistique
de 0.091 pour une valeur critique de 4.027.
Une analyse plus fine par période nous indique pour la période
1 qu'il n'existe pas d'effet de la variable corps d'origine (F statistique de
2.832 pour une valeur critique de 4.600). Pour la période 2, nous constatons
un effet en faveur des personnels du second degré (F statistique de 8.922
pour une valeur critique de 4.494) probablement induit par des textes favorables
et des quotas de postes réservés. En ce qui concerne la période
3, l'effet de la variable corps d'origine est présent (F statistique
de 42.778 pour une valeur critique de 4.494) mais cette fois en faveur des personnels
du premier degré.
Il conviendra d'examiner plus finement ces différents effets et leur
force par d'autres tests statistiques. Pour la modification du corps d'origine
la question se pose du pourquoi d'un retrait important des personnels du second
degré du concours de recrutement depuis sa modification en 1990.
CONCLUSION
Nous pouvons conclure que la variable sexe a un effet sur le recrutement et
que cet effet est plus significatif que la variable corps d'origine à
la fois sur la totalité de la période observée (1945-1999)
mais aussi sur chacune des trois périodes de référence.
D'ailleurs au cours des deux dernières années (2000 et 2001) cette
variable est supprimée des rapports de jurys. Il semble qu'aujourd'hui
cette variable soit d'une moindre importance pour l'institution.
Cependant, un autre phénomène opère, l'augmentation du
nombre d'inspecteurs issus du premier degré n'est pas si important qu'il
n'y paraît lorsque l'on regarde les chiffres des inspecteurs/trices faisant-fonction
c'est à dire non titulaire de la fonction mais choisis directement par
l'administration. L'augmentation du nombre de faisant fonction dans la proportion
des admis au cours des sept dernières années indique une volonté
de l'administration de recruter un profil particulier d'inspecteurs/trices.
Les inspecteurs/trices faisant fonction sont le plus souvent choisis parmi les
conseillers-ères pédagogiques de circonscription.
L'augmentation du nombre de femmes dans le recrutement des I.E.N. indique, d'une
part, une volonté politique de parité plus importante dans le
recrutement. Nous pouvons observer sur le concours 2001 66% des ADMIS étaient
des ADMISES. D'autre part, il montre que les parcours menant à la fonction
d'inspecteurs se féminisent largement enseignante, conseillère
pédagogique, inspectrice. Il semble que les différentes fonctions
de l'enseignement du premier degré soient conquises par les femmes. En
effet, les pourcentages des inspecteurs/trices faisant fonction indiquent une
proportion similaire aux chiffres de recrutement par concours.
Il reste maintenant à définir si cette relative modification du
corps en terme de féminisation a des influences sur les comportements
des personnels sur le terrain dans l'application des politiques ministérielles.
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