La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : Démarche qualité et réflexion pédagogique : un enrichissement mutuel. L'exemple du label GretaPlus
Auteurs : CHRYSSOULIS Dominique et MUGLIONI Christiane, chargées de mission au Ministère de la Jeunesse, de l'Education nationale et de la Recherche - Direction de l'enseignement scolaire - Bureau

Texte :
L'arrivée des démarches qualité dans le monde de la formation

Issues de l'industrie, et destinées au départ à éviter les coûts induits par la non qualité (pièces à jeter au rebut etc…) les démarches qualité ont consisté à mettre en place dans les entreprises de production des systèmes d'organisation et des procédures visant à obtenir et à garantir de façon régulière la qualité des produits fabriqués. Les années 80 ont vu se développer massivement ce mouvement au plan mondial. Il convient de rappeler que le terme qualité, dans ce contexte, ne signifie pas obligatoirement " haut de gamme " mais renvoie à ce qui répond de la façon la plus ajustée aux attentes et aux besoins (l'appareil qui fonctionne sans pannes, par exemple, mais pas forcément le plus luxueux). Pour garantir un niveau et une régularité de qualité, une démarche visant une certification de l'entreprise peut être mise en place : sur la base d'une norme (AFNOR ou ISO par exemple), un organisme certificateur (AFAQ, AFNOR, BVQI …) réalise un audit dans l'entreprise en vérifiant la conformité de ses modes d'organisation et de production aux exigences de la norme. Si les résultats de l'audit sont satisfaisants, un certificat est délivré (marque NF pour l'AFNOR, certificat ISO) pour une durée limitée. L'entreprise doit en effet faire régulièrement la preuve que son système est resté performant et que, sur ses points faibles, elle a su mettre en œuvre les actions correctives nécessaires.
Peu à peu, l'accent porté sur la qualité, au sens qui vient d'être défini, s'est étendu aux services : les consommateurs ou usagers devenant de plus en plus exigeants, les défaillances dans les services (hôtellerie, transports etc…) ont été de plus en plus mal tolérées, conduisant les clients, s'ils ne sont pas satisfaits, à se tourner vers d'autres fournisseurs.
Les démarches qualité visant une certification destinée à donner confiance aux clients se sont progressivement étendues aux organismes de formation.

Les GRETA, organismes de formation d'adultes de l'Education nationale sur le marché concurrentiel de la formation

Les GRETA, groupements d'établissements scolaires qui se fédèrent pour dispenser de la formation continue aux adultes (277 sur l'ensemble du territoire), ne sont pas subventionnés par l'Etat pour cette mission. Ils doivent donc trouver dans les conventions qu'ils passent avec les financeurs publics (services déconcentrés de l'Etat et conseils régionaux pour les demandeurs d'emploi) ou privés (entreprises, organismes paritaires collecteurs agréés pour les salariés) les ressources financières qui leur permettent de payer formateurs, personnels administratifs, locaux et équipements qu'ils utilisent. Si l'objectif qui leur est assigné est, non pas de faire du profit, mais d'équilibrer leurs recettes et leurs dépenses, ils se trouvent néanmoins placés sur un marché concurrentiel où les financeurs comme les stagiaires sont des clients qui attendent un service sans défaut. Ces derniers ne constituent pas, comme c'est le cas pour la formation initiale, ce que l'on pourrait appeler une " clientèle captive ". Or, en matière de formation, le service attendu est bien sûr d'ordre pédagogique, mais pas seulement : des stagiaires adultes ne se contentent pas d'un bon formateur. Si le matériel sur lequel ils travaillent est obsolète ou défectueux, si les convocations n'arrivent pas à temps, si l'emploi du temps change sans qu'ils en aient été avertis ou si le formateur leur remet des supports de travail illisibles, ils considèrent à juste titre que le service qui leur est rendu n'est pas satisfaisant. Car la formation ne se limite pas au strict face à face pédagogique. Elle constitue un service global qui inclut un certain nombre de services associés à l'acte pédagogique, dont certains ne relèvent pas directement du formateur.

Une réflexion pédagogique qui s'inspire des méthodes de la qualité

Former des adultes nécessite d'adopter une pédagogie spécifique qui prenne en compte non seulement les acquis de leur formation initiale, mais aussi ceux de leur expérience professionnelle ou personnelle, leurs contraintes de vie, la diversité de leur façon d'apprendre. Cela a poussé les GRETA à développer des méthodes d'individualisation de la formation.
Au milieu des années 80 ont été créés, au sein des GRETA, les centres permanents, dans lesquels était mise en œuvre l'individualisation de la formation des adultes, et qui offraient aux stagiaires possibilité d'entrées et sorties permanentes et parcours de formation à la carte en fonction de leurs objectifs, de leurs acquis et de leurs contraintes. Trois autres types de structures, dont les espaces langues, ont ensuite été déclinés sur ce modèle. Pour garantir la qualité des prestations qui y étaient dispensées, un système d'attribution de labels, avec cahier des charges et audits sur site a été mis en place. Un vivier d'auditeurs nationaux de l'Education nationale a été constitué et formé à l'audit. Les labels étaient attribués sur la base des rapports d'audits par un comité national constitué de responsables de l'Education nationale. De là est né ce que l'on peut appeler une " culture de la qualité ", étroitement corrélée à une préoccupation d'ordre pédagogique.

Le bilan tiré de ces années de pratique

Le développement de l'individualisation dans les centres permanents, notamment, a ouvert la voie à beaucoup d'innovations pédagogiques : réflexion sur le développement de l'autonomie de l'apprenant, identification des pratiques pédagogiques qui y contribuent, développement de centres de ressources, mise en œuvre de la fonction " accompagnement ". De façon plus large, les principes de l'individualisation de la formation - formation centrée sur l'apprenant, avec toutes ses implications sur l'amont, le déroulement et l'aval de la formation, diversification des parcours et des modalités d'apprentissage - ont trouvé dans cette période des applications pratiques multiples et créatives. Le nombre de centres qui, à l'intérieur des GRETA, proposaient des formations individualisées garanties par un label, a connu une forte progression, puis il s'est stabilisé.
Par ailleurs, le phénomène attendu de diffusion sur l'ensemble du GRETA des bonnes pratiques développées dans ces centres ne s'est que peu produit : pôles d'excellence, ces structures internes aux GRETA sont restées très autonomes. De plus, en même temps que se développait l'outillage pédagogique nécessaire à ces formations dans lesquelles le formateur se trouve face à des stagiaires dont les objectifs et les parcours étaient différents, certaines pratiques d'individualisation ont parfois eu tendance à se rigidifier et à s'instrumentaliser. Certains formateurs étaient devenus davantage des distributeurs de dossiers pédagogiques que des médiateurs de savoir, et certains stagiaires ont souffert de l'isolement dans lequel ils se retrouvaient.
Le bilan pédagogique à tirer de cette période était donc très riche, mais non dénué de points d'alerte.

L'adoption des démarches de certification ISO dans les GRETA

L'arrivée dans le paysage de la formation de normes issues de l'industrie a amené certains GRETA, de façon volontaire ou sous la pression des financeurs (conseils régionaux, grandes entreprises industrielles), à se lancer dans des démarches de certification ISO et à faire porter leurs efforts sur la clarification et l'amélioration de l'organisation. Les travaux qui en ont découlé ont souvent créé des changements bénéfiques dans le fonctionnement des structures. Ils ont mis en évidence l'importance de l'organisation de la structure comme condition nécessaire à la qualité du service rendu. Néanmoins les démarches engagées n'ont pas toujours évité les dérives procédurières et l'inflation de papier, qui en ont parfois fait perdre de vue le sens premier.

Une nécessaire réflexion sur les labels internes et la décision de créer un label qualité unique

En 1998, le besoin s'est fait sentir d'une réflexion sur les labels internes, au regard de l'évolution, d'une part, des démarches qualité et, d'autre part, des modalités de formation (émergence de nouvelles formes, notamment des formations ouvertes et à distance).
La décision a donc été prise de remplacer les quatre labels jusque-là existants par un label qualité unique, fondé sur une nouvelle norme. Cette réflexion a pris appui à la fois sur les pratiques d'individualisation développées depuis une quinzaine d'années et sur les apports des démarches de certification ISO menées dans les GRETA. Le texte d'une norme qualité unique, portant à la fois sur la pédagogie et sur l'organisation de la structure, a été rédigé.
Au plan pédagogique, il est apparu que l'individualisation au sens strict telle qu'elle était mise en oeuvre dans les centres permanents n'était pas toujours la réponse appropriée aux besoins des individus et des organisations. Pour consolider les savoir-faire qui avaient fait leur preuve en matière d'individualisation et en même temps prendre en compte l'évolution des besoins, le cadre des pratiques d'individualisation a été conservé dans la partie pédagogique de la norme.. Mais ce cadre s'appliquait désormais à d'autres modalités de formation que celle traditionnellement identifiée sous le terme " formation individualisée ". Cette application plus large s'est traduite par l'adoption de l'expression " formation sur mesure " pour désigner le service rendu par les GRETA labellisés, l'individualisation de la formation au sens strict et parfois réducteur du terme n'étant pas toujours la réponse la plus adéquate aux besoins des personnes souhaitant se former.
L'apport des démarches de certification ISO a, pour sa part, mis en lumière l'importance de tout ce qui, sans relever directement du face à face pédagogique, est déterminant pour assurer la qualité du service rendu au stagiaire. Aussi la nouvelle norme élaborée a-t-elle inclus des exigences relatives à la responsabilité de la direction, à la clarification du rôle de tous les personnels par rapport à la production du service, à la vérification de l'adéquation des compétences de chacun avec les activités à conduire, à la mise à disposition des moyens matériels nécessaires à un bon fonctionnement de l'acte pédagogique.

GretaPlus, le label du " sur mesure " en formation d'adultes

Le texte de la norme qualité GretaPlus, officialisé par une parution au Bulletin officiel de l'Education nationale en juin 2001 et déposé à l'INPI (institut national de la propriété industrielle) comporte 7 grands chapitres (" exigences "), subdivisés en critères, eux-mêmes redécoupés en performances. Les 7 grandes exigences sont les suivantes :
- responsabilités et organisation
- définition de stratégies et mise en œuvre d'une politique de développement
- conception des produits
- réalisation du service " formation sur mesure "
- mobilisation des moyens
- évaluation de la qualité
- gestion du système de documentation et d'information.
La norme a été expérimentée dans douze GRETA appartenant à douze régions différentes en 2000 - 2001. A partir de septembre 2001 a commencé la phase de généralisation. L'expérimentation a permis de réajuster le texte de la norme, d'affiner et d'adapter les modalités et outils d'audit ainsi que les modalités d'attribution du label, dont la responsabilité incombe maintenant à un comité, ouvert à des représentants des principaux partenaires institutionnels (autres ministères, ANPE) et à des représentants de grands clients, qui se prononce à partir des rapports d'audit. Les auditeurs interviennent en binôme, l'un des deux ayant un profil de qualiticien, l'autre de pédagogue, afin que le double aspect organisationnel et pédagogique de la démarche puisse être examiné dans sa complémentarité.

Conclusions

Comme on a pu le voir, la nouvelle démarche de labellisation GretaPlus a pris en compte les apports de plus de quinze années de pratique. On pourra néanmoins se poser plusieurs questions : pourquoi une démarche de labellisation ? N'y a-t-il pas un paradoxe à cadrer par une norme, qui évoque la standardisation, des formations " sur mesure "? Quel intérêt, dans un contexte où foisonnent normes et labels, à créer son propre système normatif ?
Sur le premier point, c'est encore à partir de l'expérience passée que la décision a été prise de conserver une politique de labels déjà existante tout en simplifiant et en rénovant le système.
La quasi totalité des GRETA a pris conscience, depuis plusieurs années, de la nécessité d'améliorer son fonctionnement et le service rendu au public. Le ministère n'ayant rien imposé en matière de type de démarche, certains ont choisi de ne pas viser l'obtention d'un certificat ou d'un label. Mais privés d'une échéance (l'audit) vécue à la fois comme une contrainte et comme une chance, celle d'avoir des points de repères donnés par un regard extérieur, leur travail s'est souvent embourbé, voire perdu dans les sables. L'audit est une épreuve, mais il stimule. De plus, la reconnaissance extérieure que constitue un label national, dont l'attribution figure au Bulletin officiel de l'Education nationale, n'est pas négligeable.
Sur le deuxième point, à savoir l'apparent paradoxe entre une norme, qui renvoie à l'idée de standardisation, et la nature du service proposé (le " sur mesure "), il importe de préciser que le texte de la norme ne précise pas la manière dont le GRETA doit s'y prendre pour proposer ce service. Les items de la norme présentent un cadre de résultats attendus (par exemple le fait que, même dans une formation en groupe, chaque apprenant soit positionné, ait un parcours qui prenne en compte ses acquis, bénéficie d'un référent qui l'accompagne dans le déroulement de ce parcours…). Rien n'impose une façon de faire plutôt qu'une autre. C'est à chaque équipe de faire des choix, d'inventer des méthodes, et de prouver ensuite lors de l'audit que le système mis en place est performant.
Enfin, pourquoi une norme Education nationale pour la formation des adultes ? Tout simplement parce que les référentiels existants (ISO, AFNOR) ne mettent pas l'accent sur cette spécificité du service " formation sur mesure ", dont il serait souhaitable qu'il s'étende, peu à peu, à toutes les formations dans tous les GRETA. De ce fait, les démarches qui reposent sur une norme générique , valable pour tout type d'entreprise, ne sont pas mobilisatrices pour les personnels, notamment les formateurs. Norme de métier, GretaPlus contient cette dimension fédératrice parce que porteuse des valeurs d'une institution, et particulièrement l'attention portée à la personne en formation.


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