La 6ème Biennale |
Titre : | Un dispositif innovant de formation continue |
Auteurs : | FRANÇOISE CHARRAT |
Texte : |
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Une expérience d'un groupe d'enseignantes dans le premier degré.
Equipe EURED- CREFI. Université de Toulouse 2
La recherche que nous avons conduite se situe dans la perspective d'une démarche de formation continue basée sur le lien théorie?pratique. Nous avons cherché à vérifier la validité d'un modèle théorique de formation continue. Ainsi, nous avons voulu savoir si un dispositif, dans lequel une équipe de chercheurs propose à un groupe d'enseignants une démarche innovante d'enseignement, peut faciliter l'entrée dans une innovation et constituer un dispositif de formation continue conduisant à une transformation de la pratique pédagogique. Nous avons tenté d'explorer les processus en jeu. 1. CADRE THEORIQUE Notre modèle théorique définit un groupe de pairs et de
formateur(s) mobilisés par un même projet, en tant que zone proximale
de transformation de l'enseignant (nous reprenons ici le modèle de la
zone de développement proximal de VYGOTSKY). C'est un système
ressources (HUBERMAN, 1986) où l'enseignant peut résoudre, avec
l'accompagnement des membres du groupe, des problèmes concernant sa pratique
: la résolution sera autonome quand il aura avancé sur le chemin
de sa transformation. Selon nous, être un enseignant professionnel, responsable et autonome, c'est pouvoir exercer sa capacité à "s'autoriser" (ARDOINO, 1993), c'est?à?dire être "son propre co?auteur, vouloir se situer explicitement à l'origine de ses actes". Le développement d'une telle capacité, lié à une démarche volontariste, intégrée dans un projet de l'enseignant, peut s'inscrire dans une perspective de formation continue. Ainsi, il est important de permettre au "se formant" de jouer des rôles qui autorisent à être autre chose qu'un stéréotype (LEGRAND, 1996. L'appropriation d'une innovation peut être envisagée comme un moyen de viser cet objectif. Mais l'innovation relève d'un processus de changement et engage de la perturbation malgré sa fonction régulatrice. Elle nécessite un accompagnement. Sa réussite est très liée à la notion d'interactions sociales directes et fréquentes (HUBERMAN et GATHER?THURLER, 1991). L'objet de l'innovation a peu d'importance. L'essentiel est qu'elle soit un projet dans lequel les individus vont trouver et créer du sens. L'élément novateur, introduit dans un système donné, peut en devenir l'analyseur en rendant lucides ses acteurs (IMBERT, 1986) et en les engageant ainsi dans une transformation individuelle. 2. METHODOLOGIE 2.1 Le champ de la recherche Nous avons choisi de considérer le processus de formation continue,
objet de notre recherche, dans le contexte d'interactions sociales d'une recherche?action
dirigée par J. FIJALKOW. Nous avons ainsi mis en relation l'équipe
de recherche de J. FIJALKOW et un groupe d'enseignants du département
de la Creuse, à propos d'une démarche innovante d'enseignement
de la lecture?écriture proposée par l'équipe universitaire. 2.2 Le dispositif de recherche Notre hypothèse a été la suivante:"l'accompagnement
au sein d'un groupe de travail aide chacun à s'engager dans une pratique
innovante et à s'autoriser une transformation de sa pratique pédagogique." Nous avons fait le choix d'une démarche qualitative et longitudinale
de recherche : en nous centrant durant trois ans sur un groupe restreint d'enseignants.
Nous avons tenté d'appréhender la subjectivité des acteurs,
en considérant la complexité des situations, en analysant à
la fois leur action et leur discours : ceci à différents moments
et dans différentes situations. L'analyse est synchronique et diachronique.
Nous avons utilisé différents types d'outils de recueil de données
: questionnaire, observations directes dans les classes, inventaires des activités
de productions d'écrit des enfants, entretiens individuels semi-directifs
en début, milieu et fin d'expérience, discours dans les échanges
entre enseignants en situation d'action (phase de planification et phase post?interactive
au cours des réunions hebdomadaires de travail). 3. ANALYSE DES RESULTATS 3.1 Evolution de la pratique et des représentations des enseignantes L'analyse longitudinale des données recueillies au fil des trois années
de l'expérience montre que toutes les enseignantes sauf une ont mis en
oeuvre la démarche novatrice d'enseignement de la langue écrite. 3.2 Facteurs du dispositif facilitant la transformation de la pratique individuelle 3.2.1 Niveau cognitif Les enseignantes, engagées dans une action commune, ont tissé progressivement des liens à partir de leur histoire professionnelle et personnelle. Elles se sont progressivement approprié un nouvel espace de parole. Leur solitude professionnelle est ainsi rompue et leur besoin de nouveauté satisfait, au fil de réunions régulières de travail. Leur " pouvoir dire " se développe. Le dispositif a offert un étayage cognitif. Sa spécificité
a favorisé une mise à distance cognitive, nécessaire selon
nous au développement professionnel de l'enseignant, grâce à
divers processus : Parallèlement à cette distanciation cognitive effectuée par l'enseignant, le dispositif engendre un contrôle, implicite ou explicite, effectué par les pairs, l'observateur et les chercheurs qui permet de réguler la mise en oeuvre de la démarche novatrice et d'améliorer la compréhension de ses finalités. En s'approchant des représentations diverses des enseignantes, le contrôle effectué facilite la remise en question de ces représentations et la contextualisation du discours théorique. La fréquence et la variété des liens développe un climat de confiance qui facilite ce contrôle et ses effets. Un réel dialogue est engagé entre la théorie et la pratique, soit par contact direct entre chercheurs et enseignants, soit par le relais d'enseignants médiateurs d'éléments théoriques, dans une démarche co?évaluative au fil d'un processus de co?formation. Ainsi, les processus décrits, en jeu dans le dispositif, contribuent à la construction de différentes métacompétences nécessaires au développement professionnel d'un enseignant : pouvoir dire, prendre conscience de la réalité de sa pratique, adopter une attitude méta?pédagogique ou méta?didactique, savoir?analyser, prendre des décisions réfléchies 3.2.2 Niveau affectif La prise de conscience et les changements partiels de pratiques modifient progressivement
l'habitus de l'enseignant (PERRENOUD, 1994). Cependant, travailler sur son habitus
n'est pas confortable : un étayage affectif est nécessaire. Divers
processus sont en jeu dans l'étayage offert par le groupe. 3.2.3 Niveau social Le dispositif de cette expérience limite le risque de rupture sociale
qu'appréhende un enseignant s'engageant dans une innovation. La perturbation
causée par l'éloignement de la pratique passée est atténuée
: l'enseignant recrée dans un nouveau groupe d'appartenance des repères
lui assurant approbation et certitude. La consistance de la démarche
novatrice se développe au fil du processus de comparaison sociale engendré
; elle permet aux enseignantes de retrouver dans le système ressource
les repères sécurisants offerts habituellement par le manuel et
la pratique d'enseignement dominante : leur responsabilité individuelle
est allégée, elles s'autorisent à prendre des risques novateurs.
Dans un contexte de co?formation et de co?évaluation., le travail en
groupe permet d'intégrer de la nouveauté dans sa pratique, sans
rompre avec les normes institutionnelles, à la différence de l'enseignant
solitaire qui ne dispose habituellement que des stages de formation et des visites
de l'inspecteur pour se distancer de sa pratique routinière et tenter
de mettre en oeuvre les directives ministérielles. Le dispositif mis en place peut être qualifié de formation continue,
dans la mesure où il a permis un changement de pratique. L'accompagnement
par le groupe, grâce aux processus cognitifs, affectifs et sociaux qu'il
engendre, a conduit les enseignantes à opérer des transformations
au fil d'une démarche d'essais et erreurs dynamisée par une co?analyse.
L'explication collective liée aux confrontations dans le groupe, a favorisé
une implication collective qui a permis à chacune de s'engager individuellement
dans une action qui lui a été propre. Des outils d'auto et de co-évaluation se sont construits dans les réunions
, sans qu'ils ne soient reconnus et annoncés comme tel : prise de conscience
de sa pratique, développement d'une attitude réflexive, confrontation
et comparaison de pratiques, co-analyse des situations d'enseignement. Le langage,
dans l'échange et la confrontation, a permis de rendre ces outils opérationnels.
Un contrôle implicite et explicite de la mise en uvre de la démarche
novatrice s'est mis en place. Les entretiens, effectués pour la recherche,
sont devenus eux-aussi outils d'auto-évaluation. Le dispositif a permis
de développer une démarche méta-cognitive ainsi qu'une
évaluation formative, non pré-déterminée, mais construite
de façon intrinsèque. Chaque enseignante a été tout
autant acteur dans l'action de formation et auteur responsable de sa transformation,
qu'acteur de sa propre évaluation.
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