La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Dispositifs d'action et d'évaluation : des problèmes de gouvernance ?


Titre : Comment peut-on aborder le concept de retour sur investissement pour le passage d'une formation continue totalement en présentiel à une formation utilisant distance et présentiel ?
Auteurs : CHASTENET DE GERY Catherine

Texte :
La e-formation, un enjeu et une opportunité pour le système de formation professionnelle continue français.
La flexibilisation croissante du marché du travail, l'hétérogénéité du monde salarial et la mobilité croissante des actifs entraînent un réel besoin de réforme du système de Formation Professionnelle Continue (FPC). C'est dans ce contexte que les partenaires sociaux négocient âprement sur la création d'un droit individuel à la formation et à l'insertion ou non du temps de formation dans le temps de travail, et ceci dans un objectif général de formation tout au long de la vie. Les réformes annoncées du système de FPC et son positionnement actuel dans la construction européenne peuvent donc entériner le dualisme de celui-ci entre stagiaires demandeurs d'emploi sur financement public et stagiaires salariés sur financement privé ou au contraire inverser le processus. Il s'agit ici d'un choix de société : soit nous acceptons définitivement l'opposition entre action sociale émanant de l'Etat et action économique émanant des entreprises, cette opposition entraînant une exclusion définitive d'une partie de la population active ; soit nous optons pour une intervention grandissante des acteurs économiques dans la régulation du social afin de garantir à chacun la possibilité de développer ses compétences. L'émergence de la e-formation peut constituer une réponse à cette recherche de flexibilisation des temps de formation que ce soit par l'entreprise ou par les individus.
La e-formation ou le e-learning concerne l'ensemble des techniques de formation à distance délivrées par le biais de réseaux électroniques. Les puristes excluent du e-learning l'auto-formation, qui se fait sans suivi pédagogique par un tuteur. On parle alors de formation à distance accompagnée, « tutorée ».
De nombreuses études prospectives proposent des chiffres concernant l'évolution de la e-formation. Le B to B semble être un véritable marché pour la e-formation. Les grandes entreprises ont désormais un intranet et pourraient mettre des formations en ligne. Certaines grandes entreprises ont déjà bien avancé dans ce domaine comme Renault, Bull, Axa, l'Oréal, France Télécom.

Les effets attendus de l'e-formation
Nous croiserons ici les résultats de plusieurs enquêtes : celle menée conjointement par l'OFEM, ALGORA, le PREAU et PricewaterhouseCoopers concernant « les coûts et retours sur investissements de la e-formation » auprès de 193 entreprises réalisée en mars 2001, avec celles menées en avril 2000  et mars 2001 par Arthur Andersen.
Il est particulièrement délicat d'extrapoler les résultats de ce type d'études dans la mesure où celles-ci concernent majoritairement les grandes entreprises, tournées vers l'international, néanmoins les principaux avantages escomptés de la e-formation sont :
- une baisse des coûts directs de formation. En effet, les résultats de l'e-learning américain nous présentent une baisse de près de 30% des coûts de formation. Cette baisse est principalement due à la disparition des frais de transport et d'hébergement mais surtout à la diminution des jours d'absence des formés. Il semblerait que cette baisse compense largement la hausse du prix d'une heure de formation en ligne par rapport à une heure de cours en présentiel.
- une plus grande souplesse d'organisation et un gain de temps. En effet, à l'aide des différents outils que propose la technologie internet (base de données, moteurs de recherche, forums ...) il est possible à l'apprenant de travailler en fonction de ses disponibilités.
- une individualisation des parcours. La mise en place d'un tutorat et l'utilisation de test de niveau permet de créer des parcours différents au sein d'un même module de formation. Cela nécessite par contre une réelle motivation de l'apprenant et un tutorat bien ajusté en fonction des besoins de chacun. Cela reste une des grandes difficultés de la e-formation.
- une formation plus efficace (source OFEM- ALGORA...). Néanmoins, la e-formation est jugée efficace lorsqu'elle est couplée à la formation en présentiel. La difficulté de la e-formation repose souvent sur la création de contenus adaptés.

Avant de mettre en place une e-formation,  certains obstacles doivent être surmontés. Les principaux obstacles mentionnés dans l'enquête menée auprès d'entreprises françaises, en mars 2001, par Arthur Andersen sont :
  • une informatique mal adaptée ;
  • un manque de maîtrise de l'outil internet par les collaborateurs ;
  • un coût élevé et souvent mal maîtrisé des solutions ;
  • une culture d'entreprise défavorable.

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    Le choix du passage à d'une formation traditionnelle à une e-formation, au moins partielle, coûte cher. Les dépenses de formation continue ne sont plus considérées comme une forme de prélèvement, d'impôt applicable sur une année comptable mais relèvent alors d'une vraie logique d'investissement. Nous assistons alors à une inversion du modèle économique lors du passage d'une formation délivrée en présentiel à une formation délivrée au moins en partie à distance. En effet, dans le cas d'une formation en présentiel, le coût est faible au départ mais sera exponentiel ou connaîtra une hausse par pallier en fonction du nombre d'apprenants. Par contre, dans le cas d'une e-formation, les investissements en amont seront importants et nous assisterons à une baisse du coût unitaire de mise en œuvre de la formation, baisse plus ou moins importante en fonction du recours au tutorat.

    Le développement de la e-formation pose la question du retour sur investissement
    Le concept de l'investissement est en crise. La mesure classique de l'investissement, qui ne prend essentiellement en compte que des biens matériels, ne correspond plus à la réalité. La montée en puissance du concept de capital humain remet en cause cette vision classique et entraîne la nécessité de mieux appréhender l'investissement immatériel (B. Bardes, 1997). Nous nous appuierons sur la définition de l'investissement immatériel proposé par C.Pourcin et A.Broutin (1991) , soit « toute allocation de ressources d'une organisation, ne se concrétisant pas sous la forme d'un bien physique, et destiné à produire ses effets pendant plus d'un cycle d'exploitation ou de production. »
    Lorsqu'il s'agit de repérer les différentes composantes de l'investissement immatériel, l'on peut décliner la recherche et le développement, la formation, les logiciels et l'action commerciale.
    Les dépenses de formation, lorsqu'elles accompagnent le développement technologique des entreprises en favorisant l'acquisition des qualifications nécessaires à l'utilisation des nouvelles techniques, peuvent être considérées comme des investissements. L'investissement immatériel que représente la formation possède certaines particularités par rapport aux autres composantes de l'investissement immatériel. Celle-ci s'appuie en effet sur un investissement public lourd en matière d'éducation, son financement est pour partie obligatoire avec la loi de 1971 et enfin, cet investissement est rattaché à une personne qui peut s'en servir librement et éventuellement le proposer à la concurrence. Le retour sur investissement ne peut donc s'appliquer à l'investissement en formation puisqu'il  est impossible d'isoler et de calculer l'impact de l'investissement en formation sur les résultats de l'entreprise (G. Le Boterf, 1989).
    Nous nous intéresserons ici au concept de retour sur investissement dans une formation mixte par rapport à une formation traditionnelle.

    L'objet de cette communication est donc de participer au débat qui occupe le monde de la formation et en particulier de la formation ouverte et à distance : le e-learning coûte-t-il moins cher ? (Les 3èmes rencontres du fffod, paris, le 5 et 6 mars 2002).
    Lors de l'implantation d'un dispositif d'e-learning, trois grandes familles de coûts ont été mises en exergue :
    la technologie évaluée à 60% des coûts et qui comprend la plateforme, les interfaçages ainsi que la création de contenus ;
    les services évalués à 30 % des coûts et qui couvrent le conseil en amont, l'intégration des contenus et l'accompagnement ;
    l'achat et le développement de contenus évalués à 10 % de l'ensemble des coûts.
    En dehors de ces coûts, un certain nombre de coûts induits ont été repérés :
    les coûts de fonctionnement inhérents à la complexification des processus ;
    la mise à disposition d'espaces de travail adaptés au e-learning ou de postes de travail ;
    les coûts de marketing, de communication internes ;
    les coûts de non-qualité (qualité des contenus, impact sur la motivation...).
    Par ailleurs, certains vecteurs de réduction des coûts sont également mesurables :
    la réduction des temps de formation et donc d'absence du poste de travail ;
    la réduction des coûts de déplacement et d'hébergement des stagiaires ;
    la possibilité d'économies d'échelle.

    Le cas de l'ICI e-training
    Nous nous proposons de faire une analyse du retour sur investissement que peuvent attendre les trois protagonistes d'une formation continue externe.
    Il s'agit du Cycle de Perfectionnement des Cadres à l'International, formation continue diplômante de niveau II, visée par l'Education nationale, et qui est délivrée par l'Institut du Commerce International (ICI) du groupe Négocia, de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris. Cette formation a été créée en 1958 et est commercialisée depuis des années sur le format de 36 jours soit 2 jours de formation tous les quinze jours, dispensés du mois de novembre au mois de juillet, avec un mémoire professionnel à remettre en décembre.
      Depuis quelques années, la commercialisation de cette formation pose quelques problèmes car les entreprises ne souhaitent plus libérer autant leurs salariés. Cette tendance est encore renforcée par l'application des 35 heures.
    Du fait de l'expérience acquise par Négocia dans les dispositifs d'enseignement à distance, il a été convenu de passer le CPCI à une formation mixte (20 jours en présentiel et 16 jours minimum à distance).
    L'analyse du retour sur investissement, selon les acteurs, peut être appréhendée de la façon suivante :
    - Pour le stagiaire, il est difficile de parler de retour sur investissement de nature économique. En effet, deux cas peuvent se présenter :
    s'il est salarié, le financement est assuré par l'entreprise ou le fongecif. Il doit dans les faits effectuer la formation sur son temps personnel. Cela favorise sa flexibilité au sein de l'entreprise mais pose un problème par rapport à l'esprit du système de formation continue.
    s'il est à la recherche d'un emploi et finance lui-même sa formation, le temps de présence obligatoire est réduit de 16 jours. Cette plus grande disponibilité favorise son employabilité.
    - Pour l'entreprise, le retour sur investissement est évident puisque celle-ci paye le même prix et met son salarié à disposition de l'organisme de formation pour une durée inférieure de 40% par rapport à une formation en présentiel. Le calcul peut se faire en reprenant le coût d'une journée de travail de salarié en ajoutant si nécessaire les frais de déplacement et d'hébergement.
    - Pour l'organisme de formation, nous avons repéré un certain nombre de postes en reprenant la typologie des coûts directs présentée plus haut.
    Technologie : Nous n'aborderons pas le coût de la plateforme, la plateforme ayant été fournie gratuitement. Cependant, le faible nombre de stagiaires ne justifie que deux jours de travail sur un temps plein d'administrateur.
    Services :(83% des coûts directs), nous avons repéré :
    les missions (53% du coût des services) :les missions de coordination (52% du coût total des missions), construction pédagogique (46%, il s'agit d'un investissement) et de tutorat (12%)
    les cours (20% du coût des services) : coût diminué de 30%
    les moyens humains administratifs  (27% du coût des services): coût réduit de 70%
    Contenus (17 % des coûts directs), il s'agit d'investissements.
  • En ce qui concerne les coûts indirects, nous avons une réduction des charges de 40%.

    Globalement et hors coûts administratifs, les coûts de fonctionnement ont augmenté de 83%, investissements inclus. Si l'on souhaite faire une projection pour 2002-2003, les coûts de fonctionnement de la nouvelle version devraient correspondre à une augmentation de 40% par rapport à l'ancienne formule. Cette analyse des coûts de fonctionnement permet de conclure à un coût plus élevé de la e-formation en termes pédagogiques. Cette hausse des coûts de fonctionnement est liée notamment à une individualisation des parcours et à l'intégration des contraintes de l'entreprise.

  • En guise de conclusion
    Dans un contexte économique de plus en plus mouvant, à une flexibilité accrue des modes d'organisation et à un nomadisme de plus en plus important de certaines populations au sein de l'entreprise, le développement de la e-formation est un véritable enjeu stratégique. De ce fait, les organismes de formation  se doivent d'intégrer ce nouvel outil dans leur stratégie de développement afin de passer à l'ère de la « nouvelle économie » et ainsi de répondre aux mieux aux attentes de leurs clients.  
    Face aux enjeux financiers liés à la e-formation, nous devrions donc assister à un mouvement de concentration ou de mise en réseau des prestataires de formation.

    Bibliographie :
    BARDES B., « L'investissement immatériel », Bulletin de la Banque de France, n°40, avril 1997.
    BELLIER S., « Le e-learning », Editions Liaisons, 2001.
    BROCHIER D., CAMPINOS-DUBERNET M., JACOT H. (sous la coord.), « La formation professionnelle en mutation », Editions Liaisons, 2001.
    LE BOTERF G., « Comment investir en formation », les Editions d'organisation, 1989.

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