La 6ème Biennale

Contribution longue recherchée

Atelier : Le sujet apprenant et communicationnel. L'individualisation aide-t-elle le sujet à se construire ?


Titre : Deux activités de l'enseignant et les gestes mentaux associés : corriger des travaux d'élèves et les rendre en classe
Auteurs : COURTADE-COULOMB Geneviève, Maître de conférences de Mathématiques à l'IUT de Bayonne)

Texte :
INTRODUCTION

La Gestion Mentale explore l'activité intellectuelle lors d'un apprentissage dans ce qu'elle a de conscient ou de susceptible de remonter à la conscience. Son fondateur, A. de la Garanderie, a défini cinq gestes mentaux de l'élève : l'attention, la mémorisation, la compréhension, la réflexion et l'imagination. Prenons l'exemple des gestes de compréhension et de réflexion : " la compréhension est le geste mental par lequel on a l'intuition du sens de ce qu'on regarde, de ce qu'on écoute, de ce qu'on lit. Pour cela, on établit des rapports de comparaison entre l'objet de perception, l'évocation qu'on s'en donne par des images visuelles, ou par un discours. C'est de ces rapports de comparaison que naît l'intuition de sens……La réflexion est le fruit d'un geste semblable à celui employé pour la compréhension. La seule différence provient du fait que, pour assurer la confrontation dans le cas de la réflexion, on fait appel à des acquis culturels systématiquement évoqués, tandis que pour la compréhension, on se sert d'évoqués spontanément produits " (voir 1).
Ces définitions donnent à l'élève une méthode pour comprendre et réfléchir, ainsi qu'un outil à son professeur pour analyser les difficultés qu'il rencontre.

Je pense que les définitions de gestes professionnels de l'enseignant pourraient jouer un rôle analogue, de méthode et d'outil d'analyse des difficultés, en formation initiale et continue des professeurs.
La Gestion Mentale peut intervenir à plusieurs niveaux :
- le choix du modèle pédagogique sous-jacent à la définition, de façon à tenir compte du fonctionnement mental de l'enseignant et de celui des apprenants.
- l'appropriation de la définition du geste professionnel par l'enseignant : je n'insisterai pas puisque c'est la même démarche que pour les élèves.
- l'efficacité du geste grâce à l'anticipation mentale par le sujet de la tâche à accomplir. C'est cette anticipation mentale, au moment de la préparation du cours, que j'ai appelée dans le titre " geste mental associé ".

Je me suis intéressée aux activités de l'enseignant quand il rend aux élèves leurs copies, et je souhaite à travers cet exemple illustrer les affirmations ci-dessus.

J'ai travaillé sur trois types de productions : les devoirs faits à la maison et les interrogations écrites en classe ; une activité à caractère méthodologique : la rédaction de fiche de synthèse à la fin d'un chapitre du cours de mathématiques ; une activité à caractère didactique : le " journal des fractions " (voir 2).

Je m'intéresse aux interventions en classe de l'enseignant après que les élèves lui aient remis leurs productions. Je ne parlerai ni du choix des productions, ni de leur évaluation, ni de la correction individuelle des copies, me contentant de remarquer que toutes les productions écrites ne sont pas corrigées : dans le journal des fractions, l'instituteur demande à des élèves de CM1, après un premier enseignement relatif aux fractions, de consigner dans un cahier appelé " journal des fractions " ses expériences liées aux fractions, les questions qu'il se pose à ce sujet, les réponses qu'il propose aux questions de ses camarades. Lorsque le maître relève les cahiers, il cherche à sélectionner des textes qu'il proposera pour débat à la classe .

GESTE PROFESSIONNEL ET GESTE MENTAL ASSOCIE.

L'évocation, élément principal de la Gestion Mentale.

La Gestion Mentale distingue deux temps dans le processus d'intériorisation d'un événement : la perception et l'évocation. La perception est ce qui nous parvient de l'extérieur par l'intermédiaire de nos cinq sens. Sur ce ressenti se fait un travail d'appropriation aboutissant à une représentation mentale appelée " évocation ". L'évocation est la traduction mentale personnelle de ce que j'ai vu, entendu, senti, goûté, touché. Je peux la retrouver en l'absence de l'objet de perception. Elle n'est pas forcément de même nature que la perception : on peut se commenter une image, associer une musique à un paysage, parler d'un vin…

Le travail intellectuel se fait à partir des évocations.
Tout individu est porté naturellement à contracter soit des habitudes visuelles (images fixes ou mobiles), soit des habitudes évocatives auditives (sons entendus ou mots que l'on se parle à soi-même). Ceux qui sont performants parviennent spontanément à utiliser des évoqués visuels et des évoqués auditifs, séparément ou simultanément. Tous peuvent enrichir leurs habitudes mentales, à condition de commencer par améliorer la qualité de leur évocation spontanée. (Voir 3).

Le geste mental.

Effectuer un geste mental, c'est faire subir, consciemment et dans un but précis, un certain traitement à des évocations.
Nous l'avons vu à travers les deux exemples de l'introduction, les gestes mentaux de compréhension et de réflexion.

Le geste mental associé à un geste professionnel.

On connaît l'importance de la " préparation mentale " dans les milieux sportifs. On trouvera dans (4) des interviews de champions expliquant comment ils mettent très précisément dans leur tête les gestes et stratégies dont ils auront besoin au moment des compétitions. On parle beaucoup moins de préparation mentale à l'Education Nationale. Pourtant je trouve des analogies entre la préparation des cours par un professeur et la préparation d'un match par un sportif de haut niveau : il s'agit dans les deux cas d'une anticipation mentale de l'action.

La préparation du cours est une réflexion suivie d'une projection dans l'avenir qui consiste à anticiper les réactions de la classe au déroulement envisagé de l'enseignement. Nous avons vu que le geste de réflexion était un va et vient entre la situation et les acquis. Que mettons nous sous ces mots dans le cas de l'anticipation d'un geste professionnel dont nous avons la définition ?

Nous l'avons résumé dans le schéma ci-après.

ACTIVITES DE L'ENSEIGNANT RELATIVES AUX PRODUCTIONS ECRITES D'ELEVES.

Distinguer correction et commentaire.

Il peut être intéressant de corriger au tableau une interrogation écrite immédiatement après que les apprenants aient rendu leurs copies (voir 5). C'est une raison supplémentaire pour différencier correction et commentaire . Le geste de correction en classe par le professeur est indépendant des copies des élèves. Le geste de commentaire a lieu après que le professeur ait pris connaissance des productions des élèves.

Naturellement, les deux gestes sont imbriqués dans le temps lorsque le professeur fait la correction au tableau après avoir rendu les devoirs. Quelque soit la démarche adoptée, il est important de laisser un temps à l'élève avant la correction et/ou le commentaire pour prendre connaissance des annotations du professeur sur sa copie et se mettre en projet de découvrir l'origine mentale de ses erreurs, réfléchissant par exemple à la raison d'un contresens : cours mal compris, énoncé mal évoqué, ou autre.

Proposition de définition pour les gestes " professionnels " de correction et de commentaire.

Les gestes professionnels font l'objet de nombreuses recherches, en particulier en didactique et en ergonomie. N'ayant pas connaissance d'une définition pour les gestes qui m'intéressaient, j'en ai cherché une en me basant d'une part sur mon expérience (photocopie de copies de mes étudiants ; enregistrement audio des corrections et commentaires correspondants) et d'autre part sur l'analyse de compte-rendus publiés dans la revue Recherche en Didactique des Mathématiques ou des brochures d'IREM.
Proposition de définition pour le geste de correction : anticiper éventuellement les difficultés rencontrées par les élèves; donner sous plusieurs formes une réponse attendue par l'enseignant, ainsi que les variantes classiques.
Proposition de définition pour le geste de commentaire : faire le point sur l'avancement du temps didactique dans la classe et annoncer les décisions prises quand à la poursuite de l'apprentissage ; éventuellement compléter le geste de correction en proposant des solutions originales des élèves ou en mentionnant des difficultés inattendues.

Les limites de ces définitions.

Elles ne répondent pas explicitement au souci exprimé dans l'introduction de tenir compte du fonctionnement mental du maître et des élèves. Mais elles s'y réfèrent implicitement : un enseignant formé à la gestion mentale anticipera les difficultés rencontrées par les élèves en menant en classe avec eux un " dialogue pédagogique " ; il diversifiera les corrections en corrigeant tantôt les questions d'un exercice dans l'ordre, tantôt en commençant par une étude globale de l'énoncé ;…

Ces définitions semblent convenir à des activités à caractère didactique, mais pas à des activités méthodologiques, ni à des travaux " mixtes ", comme la rédaction de fiches de synthèse que je propose à mes étudiants à la fin de chaque chapitre du cours de probabilités. Je leur demande de se restreindre à un format A4 recto-verso et leur donne le projet d'utiliser cette fiche pour les révisions au début du cours de statistiques inférentielle, après les grandes vacances. Ils doivent donc sélectionner les informations pertinentes et la mise en forme qui leur convient : certains choisiront d'écrire la définition d'une notion, d'autres de mettre un exemple ; la présentation se fera sous forme d'un résumé de texte ou d'un schéma, voire d'un mandala. Cette activité donne à tous l'occasion de réfléchir au rôle de la compréhension dans la mémorisation et de découvrir leur stratégie efficace de mémorisation.

Les gestes de correction et de commentaire doivent s'intéresser aux progrès des élèves et de la classe au niveau méthodologique. Il faudra donc réécrire ces définitions en se référant à un modèle pédagogique global, comme le modèle allostérique de l'apprendre de Giordan.

CONCLUSION

Les applications de la gestion mentale concernaient jusqu'à présent la pédagogie, le monde de la santé et particulièrement l'orthophonie. Ce travail est une première tentative pour étendre son champ d'application aux situations professionnelles. Le chantier est vaste !


REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

1- De la Garanderie, A. (1989) Défense et Illustration de l'introspection au service de la Gestion Mentale, Paris : Editions du Centurion.
2- Sensevy, G.(1998) Diffusion et conversion des connaissances dans la classe. Quelques éléments de réflexion, Interactions Didactiques 2
3- Chich, J.P. ; Jacquet, M. ; Meriaux, N. ; Verneyre, M. (1992) Pratique Pédagogique de la Gestion Mentale, Paris : Editions Retz.
4- De la Garanderie, A.(1995) On peut tous toujours réussir, Paris : Bayard Editions.
5- Le Meignen, M.F. (1995) Faites les réussir : gestion mentale ; évaluation formative ; pédagogie par objectifs, Paris : Les Editions d'Organisation.


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