Biennale 5
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Expérience poétique de l'écriture et appartenance

Auteur(s) : MORIZOT Dominique

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bull2.gif (117 octets)   La langue est l'institution première, elle constitue l'expérience originaire du collectif, cependant que le poétique est une instance du langage, à savoir de la mise en œuvre de la langue. Cette instance se fonde sur la rencontre du réel et du symbolique et de la limite qui les sépare ; elle fait de l'expérience poétique le moment où le langage redevient une matière que le sens avait fini par faire disparaître ; elle en fait une expérience sensible.
bull2.gif (117 octets)  Il y a cependant lieu d'établir tout d'abord, en ce qui concerne cette expérience une distinction entre parole et écriture : l'engagement du sujet dans son rapport à la langue, tandis qu'il est refoulé dans la parole, est assumé dans l'écriture. Si, en effet, la parole implique une simultanéité entre l'énonciateur et " l'autre qu'il porte en lui " et par conséquent un refoulement de la distance interne au sujet, l'écriture rend cette distance manifeste, elle y contraint le sujet. Distance, suspension, espacement, arrêt sur le signe : ils se placent entre le moment où émerge une pensée et sa " dépose " sur le papier, dépose sans laquelle sa constitution ne saurait avoir lieu.
bull2.gif (117 octets)  La reconnaissance du phénomène de suspension propre à l'écriture, et qui n'est autre que ce que Derrida nomme la différence, nous ouvre à la rencontre de nos incomplétudes identitaires ; elle nous ouvre à la nécessité de l'apprentissage des formes et des procédures selon lesquelles l'autre, absent de l'interlocution, fait l'objet d'une représentation par le sujet scripteur ; elle nous ouvre à l'expérience poétique de l'écriture.
bull2.gif (117 octets)  Nous nommons expérience poétique de l'écriture toute pratique de l'écriture qui articulant la mise en œuvre du signifiant - soit du réel de la langue, de sa forme - au désir du sujet, lui donne accès à l'expérience de la création. La problématique du désir, comme celle de l'art, s'inscrivant dans la perception des formes, elle s'inscrit dans une sublimation esthétique du réel. Elle renvoie à l'expérience réelle du sujet, soit à celle de la personne, dans sa singularité. Or, toute pratique de l'écriture accède au statut d'expérience poétique dès lors que s'y effectue un travail de la langue et de sa matérialité, dès lors que s'y éprouve la patience du signe.
bull2.gif (117 octets)  Le signifiant étant de l'ordre de l'expérience sensible du langage (par distinction d'une expérience de son intelligibilité), sa " découverte " implique un rapport de perception à la langue, soit un rapport singulier et individuel. La situation de création dans l'écriture, parce qu'elle inclut l'esthétique et l'idéal, vient rompre le rapport à l'institution. Le signifié, au contraire, est de l'ordre du collectif, de l'ordre du symbolique, de l'ordre de l'institution. Et le rôle de la langue - c'est aussi sa seule condition de possibilité - consiste bien à niveler ce qui distingue le sujet de l'autre, en ramenant l'objet de la perception, à savoir le signe, à sa dimension de norme. Autrement dit, l'accès à la langue est conditionné par le refoulement de l'expérience sensible du langage, en ce qu'elle a, justement, de singulier. Il s'agit de la reconnaissance de formes en vue de l'attribution exclusive d'une signification, reconnaissance qui suppose une normalisation, une unification des pratiques signifiante de nature à permettre la généralisation des échanges symboliques. La normalisation de la subjectivité fonde la mission propre à toute loi. Elle oblige à la perte du désir, perte inhérente à la rencontre de l'arbitraire. Toutefois la langue, ni la loi, jamais n'en ont fini de cette œuvre d'unification tandis que le sujet jamais n'échappe définitivement au caractère singulier de ses propres perceptions, donnant de ce fait même toute sa dimension à la loi.
bull2.gif (117 octets)  Revenant à l'arrêt sur le signe tel que l'impose l'écriture, on peut noter deux manières de l'appréhender qui reproduisent la distinction réel/symbolique, signifiant/signifié, personne/sujet.
bull2.gif (117 octets)  Soit son appréhension se fera dans une aliénation strictement institutionnelle, qui repose sur la seule norme. Il s'agit d'une représentation, dans la langue, de l'appartenance sociale, accompagnée d'un assujettissement à l'ordre et d'une perte obligée du plaisir. Une telle représentation échappe à toute perspective communicationnelle.
bull2.gif (117 octets)  Soit le sujet, se situant dans une dimension non plus strictement symbolique, mais réelle, mais esthétique, de son langage, mettra en œuvre un travail sur la langue. On se situe, dès lors, au sein de la subjectivité, entre le sujet, dans sa dimension symbolique, et la personne, dans la dimension réelle et matérielle de son langage. Il s'agit du moment où l'intelligibilité du sens ne fait pas obstacle à la perception de la matière, du moment où le langage redevient une matière que le sens avait fini par nous faire oublier. Ainsi peut se faire l'éveil des aptitudes perceptives du sujet qui ne perçoit plus les formes de la langue comme des formes codées du rapport au réel mais découvre et éprouve un sens fondé, aussi, sur la sensation au lieu de l'être sur le seul code et la seule norme du lexique.
bull2.gif (117 octets)  Il s'agit d'un mouvement dialectique par laquelle, sujet de langage, et de symboles, on est aussi des personnes dans le réel d'une existence humaine, parce que partagée. Cette dialectisation, dès lors qu'elle est consentie, me semble être le seul moyen de faire, et d'avoir, l'expérience du signifiant et de s'approprier les formes de la langue, d'y inscrire sa propre identité. La mise en œuvre de l'écriture en constitue l'espace privilégié.
bull2.gif (117 octets)  L'expérience poétique de l'écriture est la promesse d'une parole pleine et d'une médiation pleinement signifiante. On ne peut toutefois s'approprier son désir dans une telle expérience qu'à condition d'en avoir assumé la perte dans l'expérience institutionnelle que constitue la rencontre de l'arbitraire, la rencontre de la loi. L'expérience poétique de l'écriture ne va toutefois pas sans risques. Je ne les aborderai pas ici.
bull2.gif (117 octets)  La limiter, enfin, aux seules pratiques d'écriture dites " de création ", c'est reproduire la scission, à mon sens des plus pernicieuses, parfois même des plus démagogiques, entre le poète et le monde, entre la jouissance et le travail. C'est reproduire le paradigme de " l'amour du censeur " tel que Pierre Legendre le définit. C'est participer à la mise en place d'un champ - social et psychique - où l'étonnement serait possible face à un autre d'où il serait banni.