Logogif89s.gif (3488 octets)

 

Une étude exploratoire sur l’autoformation
des enseignants du lycée autogéré parisien

Nelly Leselbaum - Université Paris X

Lobi89.gif (730 octets)


Bull_rouge.gif (200 octets)  Cette recherche exploratoire est un prolongement de nos travaux précédemment conduits sur les changements du système scolaire français des vingt dernières années à travers l’analyse de deux cas de changement : le travail autonome et l’éducation à la santé (1).
L’étude de ces deux champs montre qu’une innovation ne peut être considérée comme un phénomène ponctuel, marginal, qui naîtrait " hors contexte ", sans racine. Une mutation renvoie le plus souvent à une évolution de la société globale, comme le démontrent à l’envi F. Dubet et D. Martinelli, à propos de toute émergence d’une rupture, positive ou négative (2).
En d’autres termes, nous ne pouvons plus penser que nous avons à faire à une crise de l’école, de la famille ou des églises comme " espaces de socialisation ". Nous sommes confrontés, en fait à un processus profond de dés-institutionnalisation. Par conséquent, tous les acteurs du système éducatif, et naturellement en première ligne les enseignants et les élèves, ont à reconstruire leur identité et leur responsabilité de " sujet ", " enseignant " ou " apprenant ". Le temps n’est plus pour les enseignants, de redéfinir leurs rôles, leurs missions et leurs tâches dans le sens de l’élargissement. Il s’agit bien plus, pour eux, de retrouver, de revendiquer leur identité comme espace nécessaire pour exister.

Cette recherche se réfère au modèle théorique de C. Dubar (3) sur la construction d’une identité professionnelle qu’il rattache à un triple processus de :

bull2.gif (117 octets) construction de l’image de soi, de la personne, au sens où Adda Abraham l’entend (4). Ce n’est pas le soi idéal ou idéalisé mais le soi vécu, assumé par la personne,

bull2.gif (117 octets) socialisation, c’est ce processus qui construit le sujet social et conduit le sujet à se sentir appartenir à un groupe, à se reconnaître par rapport à un groupe de référence,

bull2.gif (117 octets) constitution d’une culture commune à un groupe d’appartenance. Cette culture se manifeste justement à travers notre langage, notre structuration des signes et des symboles, nos valeurs…

 

Bull_rouge.gif (200 octets) LA PROBLÉMATIQUE DE L'ÉTUDE

On peut la reprendre en termes simples : comment faire pour que ceux par qui se justifie l’existence même de l’école, c’est-à-dire les élèves (car c’est bien pour eux que l’école existe) et les enseignants (sans eux, l’école n’existerait pas ; ils en sont les principaux acteurs), disposent d’une marge de liberté, d’une autonomie nécessaire à la construction de leur identité professionnelle ? Comment faire pour qu’ils construisent, pour une part au moins, les normes et les valeurs du système auquel ils sont partie prenante, le système éducatif ?

Une des modalités expérimentée est la construction, entreprise par les enseignants en exercice, de leur biographie professionnelle. Ce fut le cas pour les enseignants du lycée autogéré parisien qui ont commencé à écrire la leur, à la suite d’entretiens entrepris en 1994.

bull2.gif (117 octets) Encore faut-il éclairer ce que l’on entend d’une part par biographie professionnelle, d’autre part par récit de vie ?

Le récit de vie, selon une acception traditionnelle, procède par introspection et rétrospection en vue de déplier les événements, les circonstances, le ressenti, les valeurs qui influencent les attitudes des sujets interrogés (5). La biographie professionnelle, telle quelle apparaît dans cette recherche menée avec 24 enseignants, est sans doute un outil d’investigation mais c’est aussi et surtout un outil de formation ou plus précisément un outil d’autoformation. Par hypothèse, elle facilite la construction de l’identité professionnelle des sujets qui répondent aux différents axes de questionnement. Utiliser cet outil d’autoformation marque une ambition, celle de mieux comprendre pourquoi et comment les enseignants poursuivent leur formation au cours de leur vie professionnelle, quelles sont les aides à la formation autodirigée, les logiques et les constructions de leurs savoirs au cours de leur carrière.

bull2.gif (117 octets) Il nous faut insister ici sur le fait que la biographie professionnelle relève d’une démarche d’autoformation. Il est clair en effet qu’il faut cesser désormais de penser la formation continuée en terme d’espace-temps et de contenu de programme proposé par une institution. Il faut désormais plutôt développer chez les enseignants leur désir et leur capacité à s’autoformer, en partant de leur expérience acquise (heureuse ou malheureuse) dans le cadre de l’exercice de leur métier, de leurs propres analyses de pratique de classe et de leur(s) itinéraire(s) professionnel(s). On voit bien la proximité entre autoformation et (auto)biographie.

Nous avons choisi de faire porter notre étude sur le lycée autogéré de Paris. Il nous a semblé en effet que l’innovation introduite dans l’organisation de ces établissements qui se situent hors du cadre traditionnel nous permettrait de mieux appréhender les modalités d’une autoformation - Et ce, d’autant plus que les enseignants eux-mêmes choisissent d’y enseigner, souvent depuis de longues années, pour être en phase avec leurs propres attentes identitaires.

 

Bull_rouge.gif (200 octets) LE CHAMP DE L'ÉTUDE : LE LYCÉE AUTOGÉRÉ DE PARIS

Créé en 1982 à partir du projet d’un enseignant, le Lycée Autogéré Parisien (L.A.P.) est ouvert depuis une quinzaine d’années et accueille un public diversifié. Trois autres lycées expérimentaux (à Hérouville-St-Clair, à St-Nazaire, à Oléron), continuent à fonctionner en France, chacun avec un projet particulier mais tous ayant vocation à recevoir des adolescents en difficulté dans le système traditionnel.

bull2.gif (117 octets) Le projet du L.A.P. se définit à partir de trois finalités fortes, d’égale importance, qui légitiment l’organisation et la régulation des mesures concrètes qui en sont l’application :

bull2.gif (117 octets) le travail en équipe des enseignants. Les enseignants se cooptent et sont eux-mêmes les garants de l’application du projet pédagogique. Participant à toutes les tâches de l’organisation et de gestion de l’établissement, ils élisent un professeur coordonnateur, dont la fonction principale est de veiller au respect des décisions prises en équipe et d’assurer les relations avec les autorités de tutelle et l’environnement du lycée.

bull2.gif (117 octets) l’implication des lycéens dans le projet éducatif et la gestion de la vie de l’établissement. Cette implication se situe au-delà même des enseignements " disciplinaires " suivis, indispensables pour la réussite aux examens nationaux.

bull2.gif (117 octets) l’élargissement de l’éducation et de la formation par une réelle ouverture du lycée sur l’extérieur, et sur le monde. Cet élargissement concerne tout autant les élèves que les enseignants. L’organisation, chaque année, de voyages, d’échanges culturels avec d’autres pays et d’activités avec des structures innovantes facilitent l’intégration présente et future des lycéens.

 Décisions collectives, implication de tous et ouverture du lycée sur le monde sont essentielles pour " développer un concept éducatif qui élargisse les contenus traditionnels de l’école, développe des stratégies et des formes pédagogiques, donne sens aux apprentissages ", Longerinas (6).

 

bull2.gif (117 octets) Le dispositif pédagogique

Le lycée autogéré de Paris s’adresse à une population scolaire dont les demandes de formation sont très diversifiées. Pour la seule année scolaire de 1996-1997, parmi les 262 élèves inscrits, on trouve d’une part des élèves orientés en cycle long en fin de 3e, à la recherche de pratiques pédagogiques plus en accord avec leurs objectifs, d’autre part des élèves déscolarisés qui, ayant déjà connu le chômage ou des emplois précaires, souhaitent reprendre une formation diplomante, et aussi des élèves qui ont refusé l’orientation proposée en fin de 3e, enfin des élèves qui ont été exclus de l’enseignement traditionnel.

bull2.gif (117 octets) La variété des approches

bull2.gif (117 octets) Les cours traitent des contenus académiques.
bull2.gif (117 octets) Le travail par thèmes sur des sujets choisis par les élèves ou par les enseignants, en rapport avec leurs centres d’intérêts, sont plutôt multidisciplinaires et accèdent à des contenus plus méthodologiques, techniques ou culturels ;
bull2.gif (117 octets) le travail en ateliers (deux heures par semaine) traite de contenus plus spécialisés,
bull2.gif (117 octets) le travail par projets (quatre heures par semaine) aboutit à la réalisation d’action ou de création collective, sous la forme de film, de pièces de théâtre, de voyage, ou d’exposition de photographies, etc..
bull2.gif (117 octets) Enfin, s’ajoute la formule de tutorat ou d’accompagnement, lors de rencontres régulières avec le professeur-tuteur : l’élève y analyse ses expériences et apprentissages, et précise son projet de formation.

A ces formes de travail correspondent divers groupements (groupe-classe, groupes de niveau, groupes cooptés de vie, et décloisonnés, dialogue enseignant tuteur) selon des rythmes et horaires particuliers.

Par ce dispositif pédagogique, le L.A.P. souhaite faire de l’élève un acteur de son projet de formation qui soit partie prenante au fonctionnement de son lieu de formation. Le L.A.P. a pour ambition de faire acquérir par chaque élève un ensemble de connaissances et de savoir-faire pratiques et une attention à des attitudes et valeurs de dialogue, de débat et d’implication.

 bull2.gif (117 octets) Le travail d’équipe

L’équipe, collectivement garante des choix et orientations définis dans le projet pédagogique et de leur mise en œuvre, est constituée de 4 enseignants qui assurent les tâches d’enseignement, de concertation, de gestion et de tutorat sur les 24 postes attribués par le Ministère de l’Éducation Nationale.

Les professeurs, dont l’horaire hebdomadaire est de 25 heures, sont aidés dans leur tâche éducative par une assistante sociale, un médecin scolaire, et une infirmière, (à raison d’une demi-journée par semaine). Le travail de l’équipe est complété par celui de deux jeunes en contrat emploi solidarité, l’un aidant à l’administration du lycée, l’autre au centre de documentation.

Les membres de l’équipe sont cooptés sur des postes à profil établis en fonction des besoins de l’établissement et de sa population scolaire ainsi que des moyens accordés au L.A.P.. Réalisée sur cette base, cette cooptation permet une véritable harmonisation des compétences des professeurs et, par contrat implicite, un accord de fond des enseignants sur le projet et sa mise en œuvre.

 

 Bull_rouge.gif (200 octets) LA GESTION DE L'AUTOFORMATION

Les interrogations majeures des enseignants sur ce projet collectif, son évaluation et ses besoins portent d’abord sur les moyens les plus adéquats de demeurer une équipe ouverte sur l’extérieur, une équipe qui se renouvelle dans le cadre de valeurs prospectives, tout en préservant fidèlement les lignes maîtresses du projet. Les enseignants veulent, en effet, répondre à la problématique vécue par les jeunes, de plus en plus désespérés à des titres divers, éviter de freiner la créativité et les ambitions de leurs élèves, et poursuivre la construction identitaire de leur personne d’enseignant. C’est dans ce cadre qui leur a été proposé de participer à une recherche, qui leur permettrait d’infléchir, le cas échéant, leur parcours et leur itinéraire professionnel, à l’issue d’entretiens biographiques, menés auprès de chacun d’entre eux.

Ainsi, l’objectif de cette recherche-formation est d’analyser, à travers ces entretiens biographiques, les différentes expériences, considérées par ces enseignants eux-mêmes, comme les plus formatrices de leur parcours professionnel, et qui ont alimenté leur projet et leur choix identitaire.

A l’issue des entretiens approfondis réalisés auprès de 9 d’entre eux (cinq femmes, enseignant l’allemand, les lettres, les maths et la musique, et quatre hommes enseignant les maths, les sciences naturelles, l’anglais ainsi qu’un éducateur), les premiers résultats obtenus (par analyse qualitative de contenu) conduisent à dégager quatre idées forces qui définissent leur engagement professionnel et identitaire.

bull2.gif (117 octets) Une nouvelle définition de " ce qu’est enseigner "

Enseigner c’est être capable d’exercer " une grande écoute des jeunes ", " le prof c’est quelqu'un qui est ouvert aux autres et doit respecter la culture des autres, faire réussir les autres ". Enseigner c’est " apprendre des autres, c’est travailler à plusieurs ", etc.

bull2.gif (117 octets) Une nouvelle distribution des compétences des enseignants

Par diverses modalités de formations (concours, formation sur le terrain, expériences personnelles, etc.), pratiquement tous les enseignants du L.A.P. sont une double sinon triple formation : l’enseignant de français fait faire du théâtre, le physicien anime le labo de photos, le mathématicien enseigne aussi l’informatique, etc. Ces compétences et qualifications doubles, voire triples, ont été acquises par " autoformation " et souvent elles ont été reconnues par des certifications diplomates (CAP Photo...).

bull2.gif (117 octets) Des relations enrichies avec les jeunes

Ce sont des relations complexes. Ils attendent des élèves " qu’ils les forcent à bouger ", et ils souhaitent " continuer comme enseignant à se poser des questions... " Ils font fondamentalement confiance aux jeunes et ils sont attentifs à leur donner (ou re-donner) confiance en eux. De plus, ils reconnaissent qu’on doit respecter la personne de l’élève en tant que telle, sa liberté de décision jusque dans son refus d’une orientation qu’il n’aurait pas choisie.
Ces enseignants, dans leur majorité, souhaitent faire évoluer les jeunes " en les sortant de leur individualisme et de leur fatalisme ".

bull2.gif (117 octets) Des rapports contrastés aux savoirs et aux compétences

Les enseignants croient à l’autoformation sans négliger pour autant les diplômes et les formations reconnues comme le CAPES interne, l’agrégation, le CAP. Ils demandent des congés formation, en suivent d’autres de la MAFPEN, d’autres organisées sur des sujets divers dont la biographie professionnelle.

Il nous semble que leur construction identitaire correspond à une réalité liée à la dynamique du lycée autogéré. Ce qui les définit " c’est ce qu’ils ont fait de leur vie (le lycée) et non ce qu’ils font dans la vie (l’enseignement) ". Vivant une logique d’affrontement, ils ont fait, - comme leurs élèves -, le choix de prendre leurs distances avec le système traditionnel. Le lycée autogéré constitue, pour eux, une sorte de communauté d’appartenance, à forte valeur intégrative (Sainsaulieu).

Les enseignants, (comme les élèves) du lycée autogéré, se définissent moins par leur appartenance à la profession enseignante que par leur appartenance à leur lycée.

 

Bull_rouge.gif (200 octets) NOTES

1 - Leselbaum N. Thèse soutenue à Paris VIII sous la direction de G. Berger, 1990.
2 - Dubet F. et Martinelli D. Dans quelle société vivons-nous ? Paris, Ed. Seuil, 1998.
3 - Dubar C. La socialisation. Paris, Ed A. Colin, 1996.
4 - Adda Abraham. Le monde intérieur des enseignants, Ed. L’épi, 1972.
5 - Dominicé P.
6 - Les lycéens décrocheurs, Ed. Chronique Sociale, 1998.

 

Bull_rouge.gif (200 octets) BIBLIOGRAPHIE SUR LES LYCÉES AUTOGERÉS

  • Elman B., Le lycée autogéré de Paris et la libre fréquentation, p. 105-122.
  • Bonnard P. et Lamilvi A., Les Pédagogies autogestionnaires, Ed. Ivan Davy, 1995.
  • Hosni A., Le lycée Autogéré de Paris, Document de travail.
  • Longerinas J., Les lycéens décrocheurs. De l’impasse aux chemins de traverse, Ed Chronique sociale - Août 97.

 

Parmi les projets réalisés par le L.A.P., on peut citer :

  • en termes de spectacles : une comédie musicale, une pièce de théâtre et musique, un projet de danse hip-hop, " une pulp fiction ",
  • en terme de productions artistiques : réalisation d’expo et de livres de photographies, bandes vidéo, modelage... en termes de voyages réalisés : New York, Ecuador, Sénégal, Berlin, Inde, Transylvanie, etc...,
  • en terme de travaux d’ateliers : ateliers en méthodologie (Français, Histoire, Sciences), en arts  (croquis, peinture, chant), en nouvelles technologies (Internet), en éducation physique (foot, volley, basket, danse, natation, plongée, taïchi chuan, etc...).