Voici un extrait
du " Dialogue concernant les deux plus grands systèmes du monde " écrit
par Galilée et édité en 1632. Le dialogue
porte entre trois personnages :
SALVIATI est le porte-parole de Galilée, SAGREDO est un candide SIMPLICIO est le tenant de l'autre tradition ( aristotélicienne ) qui
considère la terre comme le centre de l'univers.
SALVIATI : Considérons d'abord simplement l'immense masse que constitue
la sphère étoilée comparée à la petitesse du globe terrestre, qui y est contenu
plusieurs millions de fois, pensons en outre quelle vitesse doit avoir son
mouvement de révo-lution complète en un jour et une nuit ; pour ma part, je
ne puis me persuader que ce soit plus raisonnable et facile à croire : la
sphère céleste ferait le tour et le globe terrestre resterait immobile ! SAGREDO : (...) celui qui jugerait plus raisonnable de faire mouvoir
tout l'univers afin de maintenir la stabilité de la Terre me paraîtrait plus
déraisonnable encore que l'homme qui, montant au sommet de votre Coupole pour
donner un coup d'œil à la ville et à sa campagne exigerait alors, pour ne
pas se fatiguer en tournant la tête, qu'on fasse tourner tout le paysage autour
de lui. (...) SALVIATI : ...le mouvement est mouvement et agit comme mouvement, en
tant qu'il est en relation avec des choses qui en sont privées ; mais, pour
ce qui concerne les choses qui y participent toutes également, il n'agit nullement
et il est comme s'il n'était pas. Ainsi, les marchandises dont un navire est
chargé se meuvent en tant que, quittant Venise, elles passent par Cor-fou,
par la Crète, par Chypre et vont à Alep ; lesquels Venise, Corfou, Crète,
etc., demeurent et ne se meuvent pas avec le na-vire ; mais pour ce qui concerne
les balles, caisses et autres colis dont le navire est rempli et chargé, et
respectivement au na-vire lui-même, le mouvement de Venise en Syrie est comme
nul et ne modifie en rien la relation qui existe entre eux ; cela, parce qu'il
est commun à eux tous et que tous y participent. Et si, parmi les marchandises
qui se trouvent dans le navire, une des balles s'écartait d'une caisse - ne
serait-ce que d'un seul pouce - cela constituerait pour elle un mouvement
plus grand, relativement à la caisse, que le voyage de deux milles miles fait
par elles ensemble. SIMPLICIO : Cette doctrine est bonne, solide et conforme à l'école
des péripatéticiens. SALVIATI : Je la tiens pour plus ancienne ; je ne doute pas qu'Aristote
qui l'a apprise à bonne école, ne l'ait entièrement comprise ; mais je me
demande si en la retranscrivant sous forme altérée, il n'est pas à l'origine
d'une confusion transmise par ceux qui veulent soutenir chacun de ses propos.
Quand il écrit que tout ce qui se meut se meut sur quelque chose d'immobile,
je me demande s'il n'a pas voulu dire que ce qui se meut se meut respectivement
à quelque chose d'immobile, cette dernière proposition ne soulevant aucune
difficulté, alors que la première en soulève beaucoup...Il est donc manifeste
que le mouvement qui se trouve commun à plusieurs mobiles est oiseux et comme
nul s'agissant des relations entre ces mobiles, parce que rien ne change entre
eux ; il n'agit que sur la relation que ces mobiles entretiennent avec d'autres
qui sont privés de mouvement, leurs positions au sein de ces derniers se trouvant
changées.(...) SIMPLICIO :Il y a par ailleurs l'expérience si caractéristique de la
pierre qu'on lance du haut d'un mât du navire : quand le navire est au repos,
elle tombe au pied du mât ; quand le navire est en route, elle tombe à une
distance égale à celle dont le navire a avancé pendant le temps de la chute
de la pierre ; et cela fait un bon nombre de coudées quand la course du navire
est rapide. (...) SALVIATI : (...) Vous dites : quand le navire est à l'arrêt, la pierre
tombe au pied du mât, et quand le navire est en mouve-ment, elle tombe loin
du pied ; inversement donc, quand la pierre tombe au pied du mât, on en conclut
que le navire est à l'arrêt, et quand elle tombe loin du mât, on en conclut
que le navire est en mouvement ; comme ce qui arrive sur le navire doit également
arriver sur la Terre, dès lors que la pierre tombe au pied de la tour, on
en conclut nécessairement que le globe ter-restre est immobile. (...) Avez-vous
jamais fait l'expérience du navire ? SIMPLICIO :Je ne l'ai pas faite mais je crois vraiment que les auteurs
qui la :présentent en ont soigneusement fait l'observation ; (...) SALVIATI : ... et il trouvera en effet que l'expérience montre le contraire
de ce qui est écrit : la pierre tombe au même endroit du navire, que celui-ci
soit à l'arrêt ou avance à n'importe quelle vitesse. SALVIATI : Enfermez-vous avec un ami dans la plus vaste cabine d'un
grand navire et faites en sorte que s'y trouvent égale-ment des mouches, des
papillons et d'autres petits animaux volants, qu'y soit disposé un grand récipient
empli d'eau dans lequel on aura mis des petits poissons ; suspendez également
à bonne hauteur un petit seau et disposez le de manière à ce que l'eau se
déverse goutte à goutte dans un autre récipient à col étroit que vous aurez
disposé en dessous ; puis alors que le navire est à l'arrêt, observez attentivement
comment ces petits animaux volent avec des vitesses égales quel que soit l'endroit
de la cabine vers lequel ils se dirigent ; (...) si vous lancez quelque objet
à votre ami, vous ne devrez pas fournir un effort plus im-portant selon que
vous le lancerez dans telle ou telle direction, à condition que les distances
soient égales ; et si vous sautez à pieds joints, comme on dit, vous franchirez
des espaces semblables dans toutes les directions. (...) Faites se déplacer
le navire à une vitesse aussi grande que vous voudrez ; pourvu que le mouvement
soit uniforme et ne fluctue pas de-ci de-là, vous n'observerez aucun changement
dans les effets nommés, et aucun d'entre eux ne vous permettra de savoir si
le navire avance ou bien s'il est arrêté : si vous sautez, vous franchirez
sur le plancher les mêmes distances qu'auparavant et, si le navire se déplace,
vous n'en ferez pas pour autant des sauts plus grands vers la poupe que vers
la proue, bien que, pendant que vous êtes dans l'air, le plancher qui est
en dessous ait glissé dans la direction opposée à celle de votre saut ; si
vous jetiez quelque objet à votre ami, il ne faudra pas le lancer avec plus
de force pour qu'il lui parvienne, que votre ami se trouve vers la proue et
vous vers la poupe ou que ce soit le contraire ; (...) en fin les papillons
et les mouches continueront à voler indifféremment dans toutes les directions.
Et on ne les verra jamais s'accumuler du côté de la cloison qui fait face
à la poupe, ce qui ne manquerait pas d'arriver s'ils devaient s'épuiser à
suivre le navire dans sa course rapide.