Description, prescription, à propos de limites de fonction

Luc Trouche

Equipe ERES, Montpellier

De l'étude des processus de conceptualisation dans un environnement donné à la détermination de quelques principes pour la conception d'environnements favorisant l'apprentissage d'une notion donnée : une démarche didactique… et ses limites.

1. Se situer dans le contexte des limites de fonctions pour étudier l'influence des environnements technologiques sur les processus de conceptualisation est sans doute un choix pertinent, pour trois raisons : le caractère central de la notion pour l'enseignement des mathématiques, le caractère pivot de cette notion pour les études didactiques et épistémologiques (on évoquera ici l'évolution des problématiques), le caractère irréductible de cette notion à toute observation instrumentée : fonder l'étude des limites nécessite de réaliser un saut conceptuel entre ce qui est palpable (sur le plan numérique ou géométrique) et ce qui est par nature invisible [Trouche, 1997].

2. Les évolutions institutionnelles et technologiques récentes se rejoignent en prenant en compte le premier point et en contournant le deuxième. Il peut ainsi se constituer des praxéologies résistantes, qui feraient obstacle à la construction du concept (on évoquera les évolutions des programmes et les critiques qui se font jour).

3. Les expérimentations récentes, dans des environnements de calculatrices complexes, permettent d'observer ces obstacles, dont on peut penser qu'ils seraient renforcés hors contrôle du processus d'instrumentation par le maître. On utilisera ici la notion de schème et plus largement de "geste" pour analyser la conduite de l'élève ([Lagrange, 2000] en s'appuyant sur des observations dans des classes expérimentales [atelier Faure-Noguès dans ce colloque]. La plus grande complexité de l'outil semble avoir pour effet une plus grande dispersion des comportements des élèves.

4. Les problématiques à l'œuvre dans l'étude des environnements informatiques ont considérablement évolué en 15 ans : parties d'une situation où les outils, les élèves, les dispositifs d'enseignement étaient considérés comme des "donnés", elles en arrivent à une situation de questionnement des outils et des dispositifs, sur le plan des contraintes et des potentialités ([CNCRE, 1999], [communication Delozanne-Grugeon dans ce colloque]). Le colloque de la Grande-Motte [Guin, 1999] avait révélé cela, en même temps qu'une histoire différente des champs de la géométrie (de la conception des outils à la conception de scénarios d'utilisation) et du calcul formel (de l'analyse des outils existant à la conception de dispositifs d'enseignement).

5. Des recherches reposant sur une approche combinant les apports de plusieurs champs (Intelligence Artificielle, didactique des mathématiques, ergonomie cognitive) ont tenté de concevoir soit un logiciel spécifique [Delozanne, 1994], soit une aide logicielle basée sur le paramétrage d'un logiciel donné [communication Heilbronner et al, dans ce colloque], pour favoriser la réalisation d'un certain type de tâches. Dans le même sens, nous proposerons quelques principes qui pourraient guider la conception d'un type d'environnement dédié à l'étude des limites de fonctions :
- une articulation des trois plans fondamentaux (numérique, graphique, symbolique);
- une mise en évidence du caractère "logique inversée" de l'étude des limites ;
- une distinction nécessaire des étapes de conjecture et des étapes de contrôle ;
- une distinction des étapes de contrôle et des étapes de validation.

6. Un environnement dédié à l'apprentissage de l'analyse est par nature plus exploratoire qu'algorithmique [Rogalski, 1994]. Il ne peut être efficace que si l'apprenant possède déjà un certain niveau d'expertise dans le domaine. Pour qu'un tel environnement puisse servir dans le cadre de l'apprentissage d'une notion, il faut le penser dans un dispositif spécifique d'enseignement, permettant des interactions de plusieurs types (entre les élèves, le professeur et les "machines").

7. Il n'y a pas bien sûr d'environnements didactiquement corrects : tout environnement aura des effets non prévus. Il faut donc concevoir la collaboration du didacticien et du concepteur d'environnements comme nécessaire [Chevallard, 1992], en amont et en aval de la conception d'un environnement donné.

Références

CHEVALLARD Yves, 1992, Intégration et viabilité des objets informatiques dans l'enseignement des mathématiques, in L'ordinateur pour enseigner les mathématiques. Paris, PUF.

CNCRE, 1999, De l'analyse des travaux et productions relatifs aux T.I.C. à la définition d'une problématique de leur intégration à l'enseignement, Rapport d'étape, Université Paris 7.

DELOZANNE Elisabeth, 1994, Un projet pluridisciplinaire : ELISE un logiciel pour donner des leçons de méthodes, Recherche en didactique des mathématiques, Vol 14/1.2; pp. 211-249, Grenoble, La Pensée Sauvage.

DELOZANNE Elisabeth et GRUGEON Brigitte, 2000, Vers la définition d'une problématique de l'intégration des T.I.C. dans l'enseignement des mathématiques, communication à ce colloque de Rennes.

FAURE Christian et NOGUÈS Maryse, Environnements informatiques de calcul symbolique et apprentissage des mathématiques, atelier lors de ce colloque.

GUIN Dominique (ed.), 1999, Calculatrices symboliques et géométriques dans l'enseignement des mathématiques, Actes du colloque de La Grande-Motte, IREM de Montpellier.

HEILBRONNER et al, 2000, Aide logicielle à la cosntruction de démarches d'exploration et de justification du comportement des fonctions réelles, colloque de Rennes.

LAGRANGE Jean-Baptiste, 2000, Approches didactique et cognitive d'un instrument technologique dans l'enseignement, le cas du calcul formel en lycée, Document pour l'habilitation à diriger des recherches, Université Paris VII.

ROGALSKI Marc, 1994, Les concepts de l'EIAO sont-ils indépendants du domaine ? L'exemple de l'enseignement de l'analyse, Recherche en didactique des mathématiques, Vol 14/1.2; pp. 43-65, Grenoble, La Pensée Sauvage.

TROUCHE Luc, 1997, A propos de l'apprentissage des limites de fonctions dans un environnement calculatrice, étude des rapports entre processus de conceptualisation et processus d'instrumentation. Thèse de doctorat, Irem, Université Montpellier II.