Technologies de l'information et de la communication et éducation : instruments, dispositifs et usages

Comportements et usages de l'informatique à l'école primaire

Christian Laguerre, laguerre@montaigne.u-bordeaux.fr

Mai 1999

Christian Laguerre, chargé de cours à l'Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3, département Communication Sociale, est titulaire d'un doctorat en sciences de l'information et de la communication. Son enseignement s'effectue dans les filières de licence, maîtrise et DESS communication jeunesse. Partant de son travail de recherche dans le cadre de sa thèse, il propose un éclairage actualisé sur les usages de l'informatique au sein de la classe à l'école élémentaire

La qualification des acteurs
Les Interactions
L'avenir
Références bibliographiques

Pucerouge.gif (96 octets) Cette analyse n'a pas pour objectif de proposer une évaluation sur l'efficacité de la pédagogie informatisée comparée à l'enseignement traditionnel. D'ailleurs, le bénéfice éducatif du multimédia ne va pas de soi, il a besoin d'être démontré.

Nous avons pris le parti d'avoir une approche des comportements et usages induits au sein de la classe par l'introduction des TIC fondée sur l'observation participante des interactions élève-machine, élève maître, maître-machine. Pour cela nous avons noté les bavardages, les déplacements, les demandes d'intervention, leur intensité, les réponses du maître, le temps de parole entre le maître et l'élève…

D'un point de vue méthodologique nous avons d'abord observé 4 classes de différents milieux pendant un an, milieu urbain, rural, semi-urbain. La classe de milieu rural est une classe regroupant plusieurs niveaux (cp-ce1-ce2)

Pucerouge.gif (96 octets) Aujourd’hui, nous essayons de formaliser un outil d'observation et de valider les résultats par d'autres observations dans d'autres classes.

Pttrondrouge.gif (821 octets) La présentation des contextes est importante dans la mesure où l'environnement informatique change continuellement, qu'il soit humain ou matériel.

Pttrondrouge.gif (821 octets) présentation des classes
Trois écoles sur quatre ont leurs micros dans la salle. Ceci est une survivance du plan IPT, mais il est difficile de faire changer ces habitudes. Nous voyons à travers divers exemples qu'aujourd'hui encore, quand une municipalité envisage d'équiper son école, elle prévoit d'abord une salle aménagée spécialement.
Aussi, affirmer que progressivement les ordinateurs au fond de la classe se substituent aux salles n'est pas aussi évident. Les salles spécialisées n'ont pas disparu. Nous assistons même à un regain d'intérêt. Par exemple, en Gironde, le choix est fait d'équiper des salles informatiques pour mettre en réseau les 8 micros, partager le scanner et l'imprimante et sécuriser le matériel. Cela paraît plus judicieux à l'inspection académique même si la place d'un micro dans la classe est reconnue.
Une remarque sur la disposition des machines car elle influera directement sur la relation maître-élève : elles sont alignées le plus souvent contre les murs de la salle pour pouvoir les brancher, ce qui oblige les élèves à tourner le dos à l'enseignant.

Pttrondrouge.gif (821 octets) le matériel
Le rapport Sérusclat de 1997 indiquait une hétérogénéité des matériels. Elle est toujours d'actualité puisque nous trouvons toujours en 1999 des TO7, des nanoréseaux en activité à côté des derniers micro-ordinateurs multimédia.

Pucerouge.gif (96 octets) Entre discours et réalité, il existe toujours un écart important. Il en va ainsi de l'aménagement de l'espace scolaire. Il y a 10 ans Hugh Mehan indiquait que "il n'y avait pas de changement significatif dans la façon dont les quatre enseignants du projet transformaient l'espace et aménageaient le temps dans leurs classes du fait d'avoir un micro-ordinateur disponible dans leur classe".
Ainsi, les machines sont-elles restées dans la disposition où elles avaient été installées en 1985. Seul le matériel a évolué, les PC sont entrés dans la classe.

La qualification des acteurs

Pucerouge.gif (96 octets) Il semble que le milieu enseignant dans sa majorité accepte le principe de l'utilisation des TIC au sein de la classe. Seuls quelques enseignants font encore de la résistance. C'est ce qui ressort de nombreux entretiens avec les enseignants. "Pour l'enseignant, avec lirebel, c'est les doigts dans le nez, les mains dans la poche. L'élève est pris par l'honnêteté de Lirebel". D'autres répondent "Les maths en primaire sur ordinateur, ce n'est pas la peine, j'irais plus vite sans".

Pucerouge.gif (96 octets) Ces positions contrastées dénotent aussi une formation, une appropriation de l'outil bien différente d'un cas à l'autre. À partir de nos observations et en nous appuyant sur les travaux de Victor Schwach, nous avons défini 4 types d'utilisateurs :

Pttrondrouge.gif (821 octets) niveau "femme au foyer". L'utilisateur sait visionner ou lancer le logiciel (classe 4)

Pttrondrouge.gif (821 octets) niveau "supporter de foot" L'utilisateur sait enregistrer les résultats de l'élève pour porter un jugement (classe 3)

Pttrondrouge.gif (821 octets) niveau "jeune adulte". L'utilisateur est capable d'installer un logiciel, de préparer les disquettes de travail (comme sur ADI), brancher une imprimante et sélectionner le bon driver (classe 2)

Pttrondrouge.gif (821 octets) niveau "virtuose". L'utilisateur sait profiter pleinement de toutes les possibilités de la machine : programmation, copie de logiciels, changer de disque dur (classe 1). Dans ce cas, ce dernier est un instituteur maître formateur.

Sans prétendre vouloir transformer les maîtres en virtuose de l'informatique pédagogique, il nous semble que le minimum requis pour une utilisation optimale des outils est le niveau "jeune adulte".

Pucerouge.gif (96 octets) Les usages, l'utilisation des TIC sont liés directement à la qualification des acteurs. Cela dépend aussi du type de logiciels utilisés.
L'offre logicielle est importante, mais le nombre d'utilisations, leur variété dans la classe est souvent limitée. Plusieurs typologies ont été proposées, que ce soit celle de Piccard, de Hermant ou de Bibeau au Québec qui distinguait 5 items. Ce dernier note que cette typologie n'est pas figée, mais qu'elle évolue en fonction de l'évolution des logiciels, et l'intrusion du multimédia conduira sans doute à la modifier dans les versions futures.

Pucerouge.gif (96 octets) Nos observations nous amènent à proposer une typologie comprenant trois items

Pttrondrouge.gif (821 octets) éducatifs (type Adi, jocatop…) mais ce rôle de tuteur que l'on peut apparenter au taylorisme décroît régulièrement
Pttrondrouge.gif (821 octets) tutoriels d'entraînement à la lecture : elmo, lirebel, lectra.
Pttrondrouge.gif (821 octets) progiciels et outils de base multimédia : Traitement de texte (write, works, word…) PAO, tableur, SGBD, gestion de BCD.

Pttrondrouge.gif (821 octets) aujourd'hui, nous pouvons rajouter " en pointillé" 2 autres items qui émergent 

Pttrondrouge.gif (821 octets) l'outil information (recherche sur encyclopédie CDROM, sur Internet…)
Pttrondrouge.gif (821 octets) l'outil communication (mail, forums…)

Encore faut-il ajouter que l'outil de communication n'induit pas obligatoirement la communication. Mais avec un taux de pénétration compris entre 5 % et 10 % début 1999 au sein de l'école primaire, nous n'avons pas pu explorer cette piste. (ce chiffre correspond aux derniers recensements début 99 effectués par les académies de 3 départements du Sud-ouest)

Pucerouge.gif (96 octets) La première question que nous nous sommes posée est de savoir si les enseignants utilisent n'importe quel logiciel quel que soit leur niveau (informatique). La réponse à cette question est non. Plus on est novice, plus on se retranche derrière un logiciel que l'on maîtrise, souvent un logiciel qui astreint l'élève à un travail codifié, mesurable (type Elmo). Le paradoxe est que ce type de logiciel nécessite un temps de travail de préparation plus important qu'un simple traitement de texte. Mais ce travail s'accomplit hors temps scolaire proprement dit. Autre argument avancé pour se limiter : en recentrant le travail de l'élève sur un ou deux progiciels, le maître évite l'écueil du savoir en miette qui n'a pas de sens pour l'élève.

Pucerouge.gif (96 octets) Vers de la résistance ?

Nous pouvons apparenter cette réflexion à de la résistance. Si ces résistances à l'innovation sont un fait réel, il faut aussi dire que les inventions et les technologies nouvelles sont adoptées par les enseignants dès qu'elles se révèlent fonctionnelles et d'un prix abordable. A.M. LAULAN souligne le "décalage entre l'offre technique et la demande sociale d'information, décalage d'où jaillit la résistance."

Il faut attendre le niveau jeune adulte pour voir des enseignants utiliser plusieurs facettes de l'outil : journal de classe, tutoriel.

Ainsi, nous voyons peu à peu se dessiner le contour de la classe en fonction du matériel, de la salle où il est implanté et de la qualification des enseignants.

Pucerouge.gif (96 octets) Aides éducateurs

L'introduction des aides-éducateurs est un phénomène nouveau depuis un an et demi. Dans les écoles qui ont eu la chance de pouvoir en recruter, le profil "informatique" était souhaité. Il apparaît donc que les séances informatiques sont encadrées par eux au détriment de l'enseignant même si c'est ce dernier qui fixe le thème de la séance. dans ce cas nous pouvons légitimement admettre que le niveau de l'encadrement correspond au moins au niveau jeune adulte, voire virtuose même si le côté pédagogique laisse parfois à désirer.

Tenant compte de tous ces éléments, nous pouvons proposer un tableau montrant l'intensité des interactions en fonction des critères énoncés ci-dessus.

Bien sûr, cette interactivité s'appuie également sur d'autres supports tels que les interactions verbales, la présence ou non de l'enseignant. Nous allons étudier ces deux thèmes.

 

Les Interactions

Pucerouge.gif (96 octets) Temps de présence active du maître

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La mesure du temps de présence réel de l'enseignant avec les enfants nous apparaît comme un premier indicateur d'une possible interaction entre l'enseignant et le maître. Nous notons que ce temps décroît régulièrement tout au long de l'année. Il n'est plus que de quelques minutes au troisième trimestre.

L'enseignant vient donc en pointillé voir travailler les élèves sur leur machine. Le fait que l'ordinateur soit dans la classe ne change pas ce mode de fonctionnement.
L'enseignant qui a plusieurs niveaux dans sa classe travaille souvent sous forme d'ateliers et quand il mène un groupe, il est très difficile pour les élèves des autres groupes de l'interrompre.
Dans le cas de salles spécialisées, soit il s'absente pour aller faire travailler l'autre groupe, soit s'il est dans la même salle avec le 2e groupe, nous retrouvons la situation d'atelier de la classe unique.

Pucerouge.gif (96 octets) L'interactionnisme verbal

Pucerouge.gif (96 octets) De ce fait les échanges verbaux sont très limités. En nous appuyant sur l'analyse des interactions verbales nous voyons l'existence d'un code implicite entre le maître et l'élève. À une question brève, Combien ? la réponse vient aussitôt de l'élève et le maître connaissant l'exercice effectué, puisque c'est lui qui l'a mis en place, est capable de porter un jugement de valeur sur le travail effectué par l'élève en tenant compte du niveau de chacun. (cf. Kerbrat Orechioni).
Ainsi que ce soit sur le mode bref, ou sur un mode humoristique "Retourne à la maison. (cliquer sur home)" ou autoritaire, les échanges verbaux sont courts, avec des significations différentes selon le degré de qualification de l'enseignant : demande d'information sur le travail effectué ou simple rappel à l'ordre pour montrer l'existence du maître, sa présence.

Pucerouge.gif (96 octets) Ces connaissances communes, ce vocabulaire commun au maître et à l'élève, Garfinkel l'appelle le schéma d'interprétation. Il est constitué des faits sanctionnés socialement.
Faire implicitement référence à ces faits organisés du système social est la preuve pour les acteurs de leur appartenance à une communauté culturelle et sociale qui selon Coulon "autorise et légitime la documentation sur certains problèmes, et offre les ressources de sens qui permettent d'interpréter ces problèmes. La connaissance commune doit être comprise comme un ensemble structuré de faits".

Pucerouge.gif (96 octets) La présence-absence du maître

Pucerouge.gif (96 octets) Nous venons d'aborder cette notion de présence. Ainsi que le souligne Foucambert, l'élève a seulement besoin du "sentiment d'une présence. Le maître devient une personne ressource. Mais cette présence est très ponctuelle. Nous voyons bien que la durée où l'enseignant est en relation effective avec l'élève est très courte pendant une séance.
Certes, les codes de communication habituels type bavardages existent dans certains cas, les déplacements, les demandes d'intervention également. Mais le maître n'y prête pas attention tant que le niveau de bavardages reste supportable, et ne répond pas aux demandes. Nous sommes en présence d'un code implicite : "je suis là mais faites comme si je n'étais pas là".

Pucerouge.gif (96 octets) Comment expliquer cette présence/absence de l'enseignant. Nous pouvons avancer plusieurs hypothèses que nous vérifierons dans les autres classes. La communication sert au transfert d'une entité que nous appellerons l'information. Si l'information pertinente est contenue dans les didacticiels, l'élève n'a plus besoin de communiquer avec le maître et réciproquement. La source de l'information dans ce cas précis devient l'ordinateur, l'écran et non plus le maître.

Par ailleurs, nombre de pédagogues nous apprennent que la répétition est nécessaire à l'apprentissage. Or nous voyons que les logiciels utilisés ci-dessus reprennent les informations amenées par le maître précédemment, ou viennent en complément de son cours.
Si un des premiers soucis des théoriciens de la télécommunication a été d'éliminer au maximum la redondance des signes pour en augmenter leur efficacité (cf. Shannon), ici nous avons à faire une informatique que l'on pourrait qualifier de communication non efficace puisqu'elle est redondante par rapport au cours. Mais s'agit-il de communication ?

Pucerouge.gif (96 octets) Il nous reste une troisième voie à explorer. Celle de l'entraînement.

Quand nous analysons le contenu des didacticiels utilisés en classe, la majorité d'entre eux ont pour but l'apprentissage, le perfectionnement dans le domaine de la lecture. Pour réussir dans le métier d'élève, il faut maîtriser cet outil, donc s'entraîner, répéter inlassablement. Se pose alors ce que LE BORZEC définit comme Taylorisme. En utilisant des outils comme le chronomètre, en imposant une "loi de travail individuel" où chacun est responsable de l'exécution d'une opération définie, le savoir faire devient la propriété du développeur et l'élève devient un exécutant. Certes, il ne s'agit pas de produire un bien de consommation, nous sommes dans une situation d'apprentissage, et ceci marque les limites de notre critique. Néanmoins, nous retrouvons dans Elmo, Lirebel… les caractéristiques du taylorisme

Pucerouge.gif (96 octets) Il nous faut revenir à cette notion de présence/absence du maître, ce sentiment de présence. La présence du maître est une condition nécessaire pour qu'il y ait communication maître-élève, mais non suffisante. L'absence corporelle du maître est irréfutable, ne peut pas être niée. Comme il n'existe pas dans ces écoles de vidéo-surveillance ou tout autre moyen de communiquer d'une salle à une autre, sauf si un grand chahut éclatait dans la classe, nous pouvons émettre l'hypothèse qu'il n'y a pas de communication maître-élève en l'absence de celui-ci et qu'il y a simplement une relation élève-ordinateur.

Mais dans le cas où l'instituteur est présent, qu'en est-il ? Il faudrait d'abord définir ce qu'est le présent. Le présent est le "moment où l'on parle" (Larousse 1995). Cette notion nous est familière et se situe par rapport au passé et au futur. Pour Lussato, "Le présent est une mince glace entre deux éternités". En approfondissant sa recherche, Lussato déclare que le concept du présent n'appartient pas au champ d'étude de la science objective, celle des physiciens et des biologistes.

Nous pouvons faire référence à Bergson et à son image du présent par la pyramide inversée dont la pointe touche une surface, cette pointe étant le présent.

Pucerouge.gif (96 octets) Si nous considérons le maître comme élément essentiel de la communication maître-élève-machine, deux états sont possibles :

Pttrondrouge.gif (821 octets) Soit le maître est absent physiquement, situé ailleurs, cet ailleurs pouvant être la salle de classe, la bibliothèque, auquel cas compte tenu des technologies employées dans ces écoles, il ne peut y avoir de relation maître-élève.

Pttrondrouge.gif (821 octets) Soit il est présent au sein de la salle informatique. Mais notre étude montre que ceci n'est pas suffisant pour instaurer une relation maître-élève. La non réponse aux demandes d'intervention des élèves, le suivi d'un autre groupe d'élèves que ceux travaillant sur les ordinateurs, l'absence parfois quasi totale des relations verbales sont autant d'indicateurs de cette non-relation.

Pucerouge.gif (96 octets) Il est vrai qu'interrompre l'interaction élève-machine n'est pas facile. L'élève travaillant sur Elmo, Lirebel ou ADI est astreint à lire, surtout dans le cas d'Elmo. De plus, accaparé pendant un temps assez long puisque chaque élève passe au minimum 1/4 d'heure voire une demi-heure devant l'écran, il n'est plus disponible pour une autre relation. "Quand les êtres sont reliés l'un à l'autre pendant un certain temps, on peut admettre légitimement que la grandeur de l'interaction croit d'autant plus que celle-ci dure plus longtemps"(Moles).
Nous pouvons objecter que l'ordinateur n'est pas un être, mais derrière le logiciel existe un développeur qui a réalisé le programme, et l'élève dialogue avec le développeur à travers ce programme.

De plus s'agissant dans la majorité des cas d'un entraînement, l'intervention de l'enseignant ne se justifie pas vraiment. N'oublions pas non plus que le temps est compté à l'élève. L'affirmation de Metayer selon laquelle "Le temps est devenu dans notre société un bien mesuré " s'est vérifiée et trouve dans les séances informatiques une parfaite illustration.

Cette notion de temps présent est reprise par Virilio, en terme de "proximité médiatique", et de dédoublement de la personnalité du sujet.

Pucerouge.gif (96 octets) En ce qui concerne la présence, au-delà du sentiment de présence dont parle Foucambert, Metayer insiste sur le fait que "le besoin de présence est probablement le plus primaire des besoins de communication sociale". Mais dans le même temps, il précise que ce besoin est différent selon les conditions, c’est-à-dire qu'en milieu rural cette présence est une condition nécessaire et suffisante alors que dans la société technicienne où la communication peut s'opérer à distance, cette présence ne suffit pas.

Pucerouge.gif (96 octets) Ainsi, les approches de la notion de présence que nous venons d'étudier montrent l'insuffisance d'une simple présence pour établir une relation maître-élève. Ceci paraît logique dans la mesure où la véritable communication repose sur un échange d'informations, de données, ce qui est le cas dans la relation élève-machine. Cet échange privilégié exclut de fait l'enseignant qui ne suit pas de près les élèves travaillant sur les ordinateurs. D'où la nécessité pour les développeurs de prévoir un système récapitulatif de notes à la fin de chaque exercice pour permettre à l'enseignant de vérifier le travail accompli et de connaître la progression de l'élève. Mais cette possibilité n'a été véritablement exploitée que par la classe 3 qui travaillait sur Elmo, et dans une moindre mesure par la 4 avec Lirebel.

Pucerouge.gif (96 octets) Il est à noter que la seule véritable triple relation enseignant-élève-ordinateur ne nous est apparue que dans deux ou trois situations précises et limitées : la situation d'apprentissage et de découverte de la machine (en maternelle ou CP par exemple), la réalisation d'un journal hors temps scolaire, et la prise en main de séances de traitement de textes par des CES. En dehors de ces temps précis, le maître était virtuellement absent.

Pucerouge.gif (96 octets) Pourquoi parler d'absence virtuelle ? par analogie avec la réalité virtuelle. Selon De Rosnay, la réalité virtuelle c'est l'interactivité nécessaire pour un projet, plus le temps réel, plus un feed-back sensoriel.

Or, dans les cas étudiés, hormis le temps réel, il n'y a pas de feed-back sensoriel entre le maître et l'élève, ni d'interactivité. Il y a une présence affaiblie de l'enseignant, ce que Queau qualifie de représentation.

Pour lui, le virtuel n'est ni irréel, ni potentiel, il est dans l'ordre du réel. "Le virtuel est présent, d'une manière réelle et actuelle, quoique cachée, souterraine, inévidente. Le virtuel, c'est la présence réelle et discrète de la cause". Nous pouvons rapprocher cela de la notion de représentation sociale développée par Moscovici du fait de l'importance du contexte, des normes et des valeurs

Ceci nous paraît fondamental, car la présence n'est ni une distance, ni une représentation. Or le modèle qui nous est donné à voir dans ce cas est la présence d'une absence. Étant absent en même temps de la classe où se trouve l'autre moitié du groupe d'élèves, nous pouvons renverser le raisonnement de la présence simultanée en différents lieux par une absence simultanée dans ces mêmes lieux.

Si l'ubiquité selon De Rosnay est un fondamental de la réalité virtuelle, cette notion d'être présent partout à la fois peut s'appliquer à l'absence. L'enseignant est absent partout à la fois, en même temps. La rationalité implique dans la réalité une non contradiction : être absent ici et maintenant exclu la possibilité d'être absent au même moment dans l'autre salle. La virtualité n'est pas soumise à ces contraintes : on peut être absent en plusieurs endroits à la fois.

Pucerouge.gif (96 octets) L'absence virtuelle.

Pucerouge.gif (96 octets) Il reste un problème à étudier : Cette absence virtuelle de l'enseignant n'occulte pas le fait que le maître est réellement présent. cette réalité est irréfutable, nous résiste. "Le monde réel ne dépend pas de nous. Il est indifférent à notre acquiescement à son égard, à notre présence même. Il peut se passer de nous, mais non pas nous de lui."nous dit Queau. Nous touchons là les limites de notre raisonnement. Le maître ne présente pas l'image de l'absence, mais celle de la réalité de sa présence. L'élève peut entendre le son de sa voix quand il parle à l'autre groupe. En fait, c'est la notion d'absence qui devient difficile à cerner, à définir.

Pucerouge.gif (96 octets) Nous pouvons prendre cette absence au sens d'oubli, oubli que l'enseignant est présent, oubli de son statut ce qui autorise les bavardages. Nous pouvons également considérer l'absence comme un moment d'inattention. Pour qu'il y ait "absence réelle", les deux entités, élèves et maître, doivent implicitement se mettre d'accord sur cet état : "Je suis là physiquement mais je n'y suis pas pour vous." Il s'agit donc d'un jeu de rôle, où le maître délègue à l'ordinateur la fonction de formateur, de répétiteur, sachant qu'à chaque instant ce "modus vivendi" peut être rompu par l'un des deux partis.

Pucerouge.gif (96 octets) Enfin, il ne faut pas oublier que derrière chaque logiciel existe un concepteur. Des questions de sens se trouvent ainsi posées. Nous sommes confrontés ici aussi à une énigmatique présence absence : l'élève travaille sur un programme pensé, écrit par d'autres, qui ont essayé d'imaginer toutes les réponses possibles à toutes les demandes possibles. Mais il suffit d'une seule non prévue pour que l'erreur se produise, que la machine se bloque.

L'avenir

Pucerouge.gif (96 octets) Avec Internet, nous rentrons encore plus dans ce monde de la présence-absence, cette vraie-fausse accessibilité du lointain, dans la virtualité du monde.

Devant la difficulté en 1999 de pouvoir observer les usages concrets du Web en classe (peu de classes équipées) nous pouvons à partir d'entretiens et de questionnaires dresser un tableau des représentations sur ce que pensent les enseignants de ce média.

Selon une étude réalisée en 1998 en agglomération urbaine par Françoise Queille sur la base de questionnaires auprès d'une centaine d'enseignants du primaire, une majorité avaient une opinion favorable des TIC, et 5 % seulement étaient défavorables, les débutants et les plus chevronnés étant les plus favorables.

Pucerouge.gif (96 octets) Tous les enseignants accepteraient Internet dans la classe car il fait partie de la société d'aujourd'hui. Nous sommes loin des prétendues résistances à l'introduction de cet outil. Mais les modalités d'introduction varient. La moitié pense que l'enseignant doit l'utiliser en tâtonnant avec ses élèves pour en découvrir les usages (essai-erreur). 40 % préfèrent d'abord maîtriser l'outil avant de le proposer aux élèves.

Pucerouge.gif (96 octets) Quand aux demandes de formation, la quasi totalité demande qu'elle porte sur une réflexion par rapport à l'utilisation de cet outil dans la classe. Ensuite vient le souhait d'avoir la possibilité de manipuler le matériel et de surfer sur Internet.

Il est remarquable de noter qu'en 1998, 50 enseignants ont suivi un stage long d'1 mois en gironde et 25 quelques journées en Charente maritime. ces chiffres représentent moins de 1 % du corps enseignant des départements concernés. À ce rythme, nous aurons fini en 2100…

 

Références bibliographiques

Pttrondrouge.gif (821 octets) LAGUERRE Christian. - La communication sociale dans l'espace scolaire du fait de l'introduction de l'informatique - Thèse de 3 ème cycle, Université de Bordeaux 3, UFR S.I.C.A., 1996.

Pttrondrouge.gif (821 octets) LAULAN Anne-Marie - La résistance aux systèmes d'information. Paris, Retz, 1985. - 161 p.

Pttrondrouge.gif (821 octets) LUSSATO, Bruno. - Théorie de l'empreinte. Paris, ESF, 1991

Pttrondrouge.gif (821 octets) MEHAN H. - Microcomputers in classroom. Educational technology or social practice ? - Anthropology and education quaterly, Vol. 20, 1989

Pttrondrouge.gif (821 octets) METAYER Gérard - La société malade de ses communications - préface François Billetdoux - Paris : Dunod, 1980

Pttrondrouge.gif (821 octets) MOLES, Abraham - Théorie structurale de la communication et société - Paris : Masson, 1988.

Pttrondrouge.gif (821 octets) QUEAU Philippe - Le virtuel Vertus et vertiges - Seyssel : Champ Vallon/INA -coll. Milieux, 1993. - 215 p.

Pttrondrouge.gif (821 octets) QUEAU, Philippe. "La réalité virtuelle" in La recherche n° 265, mai 1994, vol. 25, p. 497

Pttrondrouge.gif (821 octets) QUEILLE, Françoise. - "Internet et représentations sociales des enseignants de l'école primaire : étude de cas en milieu urbain" mémoire de DESS Communication et jeunesse, ss la direction de Mireille Vagné-lebas, 1998

Pttrondrouge.gif (821 octets) SCHWACH Victor - Micropsychologie des rapports hommes-machines dans la vie quotidienne - Université Sciences Humaines, Strasbourg, Thèse d'état, 1995

Pttrondrouge.gif (821 octets) VIRILIO, Paul. - L'art du moteur, Galilée, Paris, 1993, p. 139