Comportements
et usages de l'informatique à l'école primaire
Christian Laguerre, laguerre@montaigne.u-bordeaux.fr
Mai 1999
Christian Laguerre, chargé de cours à l'Université Michel de Montaigne -
Bordeaux 3, département Communication Sociale, est titulaire d'un doctorat en sciences de
l'information et de la communication. Son enseignement s'effectue dans les filières de
licence, maîtrise et DESS communication jeunesse. Partant de son travail de recherche
dans le cadre de sa thèse, il propose un éclairage actualisé sur les usages de
l'informatique au sein de la classe à l'école élémentaire
La qualification des
acteurs
Les Interactions
L'avenir
Références bibliographiques
Cette analyse
n'a pas pour objectif de proposer une évaluation sur l'efficacité de la pédagogie
informatisée comparée à l'enseignement traditionnel. D'ailleurs, le bénéfice
éducatif du multimédia ne va pas de soi, il a besoin d'être démontré.
Nous avons pris le parti d'avoir une approche des comportements et usages induits au
sein de la classe par l'introduction des TIC fondée sur l'observation participante des
interactions élève-machine, élève maître, maître-machine. Pour cela nous avons noté
les bavardages, les déplacements, les demandes d'intervention, leur intensité, les
réponses du maître, le temps de parole entre le maître et l'élève
D'un point de vue méthodologique nous avons d'abord observé 4 classes de différents
milieux pendant un an, milieu urbain, rural, semi-urbain. La classe de milieu rural est
une classe regroupant plusieurs niveaux (cp-ce1-ce2)
Aujourdhui, nous essayons de formaliser un outil d'observation et de valider
les résultats par d'autres observations dans d'autres classes.
La présentation des contextes est importante dans la mesure où l'environnement
informatique change continuellement, qu'il soit humain ou matériel.
présentation
des classes
Trois écoles sur quatre ont leurs micros dans la salle. Ceci est une survivance du plan
IPT, mais il est difficile de faire changer ces habitudes. Nous voyons à travers divers
exemples qu'aujourd'hui encore, quand une municipalité envisage d'équiper son école,
elle prévoit d'abord une salle aménagée spécialement.
Aussi, affirmer que progressivement les ordinateurs au fond de la classe se substituent
aux salles n'est pas aussi évident. Les salles spécialisées n'ont pas disparu. Nous
assistons même à un regain d'intérêt. Par exemple, en Gironde, le choix est fait
d'équiper des salles informatiques pour mettre en réseau les 8 micros, partager le
scanner et l'imprimante et sécuriser le matériel. Cela paraît plus judicieux à
l'inspection académique même si la place d'un micro dans la classe est reconnue.
Une remarque sur la disposition des machines car elle influera directement sur la relation
maître-élève : elles sont alignées le plus souvent contre les murs de la salle
pour pouvoir les brancher, ce qui oblige les élèves à tourner le dos à l'enseignant.
le
matériel
Le rapport Sérusclat de 1997 indiquait une hétérogénéité des matériels. Elle est
toujours d'actualité puisque nous trouvons toujours en 1999 des TO7, des nanoréseaux en
activité à côté des derniers micro-ordinateurs multimédia.
Entre discours
et réalité, il existe toujours un écart important. Il en va ainsi de l'aménagement de
l'espace scolaire. Il y a 10 ans Hugh Mehan indiquait que "il n'y avait pas de
changement significatif dans la façon dont les quatre enseignants du projet
transformaient l'espace et aménageaient le temps dans leurs classes du fait d'avoir un
micro-ordinateur disponible dans leur classe".
Ainsi, les machines sont-elles restées dans la disposition où elles avaient été
installées en 1985. Seul le matériel a évolué, les PC sont entrés dans la classe.
La
qualification des acteurs
Il semble que le
milieu enseignant dans sa majorité accepte le principe de l'utilisation des TIC au sein
de la classe. Seuls quelques enseignants font encore de la résistance. C'est ce qui
ressort de nombreux entretiens avec les enseignants. "Pour l'enseignant, avec
lirebel, c'est les doigts dans le nez, les mains dans la poche. L'élève est pris par
l'honnêteté de Lirebel". D'autres répondent "Les maths en primaire sur
ordinateur, ce n'est pas la peine, j'irais plus vite sans".
Ces positions
contrastées dénotent aussi une formation, une appropriation de l'outil bien différente
d'un cas à l'autre. À partir de nos observations et en nous appuyant sur les travaux de
Victor Schwach, nous avons défini 4 types d'utilisateurs :
niveau
"femme au foyer". L'utilisateur sait visionner ou lancer le logiciel (classe 4)
niveau
"supporter de foot" L'utilisateur sait enregistrer les résultats de l'élève
pour porter un jugement (classe 3)
niveau
"jeune adulte". L'utilisateur est capable d'installer un logiciel, de préparer
les disquettes de travail (comme sur ADI), brancher une imprimante et sélectionner le bon
driver (classe 2)
niveau
"virtuose". L'utilisateur sait profiter pleinement de toutes les possibilités
de la machine : programmation, copie de logiciels, changer de disque dur (classe 1).
Dans ce cas, ce dernier est un instituteur maître formateur.
Sans prétendre vouloir transformer les maîtres en virtuose de l'informatique
pédagogique, il nous semble que le minimum requis pour une utilisation optimale des
outils est le niveau "jeune adulte".
Les usages,
l'utilisation des TIC sont liés directement à la qualification des acteurs. Cela dépend
aussi du type de logiciels utilisés.
L'offre logicielle est importante, mais le nombre d'utilisations, leur variété dans la
classe est souvent limitée. Plusieurs typologies ont été proposées, que ce soit celle
de Piccard, de Hermant ou de Bibeau au Québec qui distinguait 5 items. Ce dernier note
que cette typologie n'est pas figée, mais qu'elle évolue en fonction de l'évolution des
logiciels, et l'intrusion du multimédia conduira sans doute à la modifier dans les
versions futures.
Nos observations
nous amènent à proposer une typologie comprenant trois items
éducatifs (type Adi, jocatop
) mais ce rôle de tuteur que l'on peut apparenter au
taylorisme décroît régulièrement
tutoriels
d'entraînement à la lecture : elmo, lirebel, lectra.
progiciels
et outils de base multimédia : Traitement de texte (write, works, word
) PAO,
tableur, SGBD, gestion de BCD.
aujourd'hui, nous pouvons rajouter " en pointillé" 2 autres items
qui émergent
l'outil
information (recherche sur encyclopédie CDROM, sur Internet
)
l'outil
communication (mail, forums
)
Encore faut-il ajouter que l'outil de communication n'induit pas obligatoirement la
communication. Mais avec un taux de pénétration compris entre 5 % et 10 %
début 1999 au sein de l'école primaire, nous n'avons pas pu explorer cette piste. (ce
chiffre correspond aux derniers recensements début 99 effectués par les académies de 3
départements du Sud-ouest)
La première
question que nous nous sommes posée est de savoir si les enseignants utilisent
n'importe quel logiciel quel que soit leur niveau (informatique). La
réponse à cette question est non. Plus on est novice, plus on se retranche derrière un
logiciel que l'on maîtrise, souvent un logiciel qui astreint l'élève à un travail
codifié, mesurable (type Elmo). Le paradoxe est que ce type de logiciel nécessite un
temps de travail de préparation plus important qu'un simple traitement de texte. Mais ce
travail s'accomplit hors temps scolaire proprement dit. Autre argument avancé pour se
limiter : en recentrant le travail de l'élève sur un ou deux progiciels, le maître
évite l'écueil du savoir en miette qui n'a pas de sens pour l'élève.
Vers
de la résistance ?
Nous pouvons apparenter cette réflexion à de la résistance. Si ces résistances à
l'innovation sont un fait réel, il faut aussi dire que les inventions et les technologies
nouvelles sont adoptées par les enseignants dès qu'elles se révèlent fonctionnelles et
d'un prix abordable. A.M. LAULAN souligne le "décalage entre l'offre technique et
la demande sociale d'information, décalage d'où jaillit la résistance."
Il faut attendre le niveau jeune adulte pour voir des enseignants utiliser plusieurs
facettes de l'outil : journal de classe, tutoriel.
Ainsi, nous voyons peu à peu se dessiner le contour de la classe en fonction du
matériel, de la salle où il est implanté et de la qualification des enseignants.
Aides
éducateurs
L'introduction des aides-éducateurs est un phénomène nouveau depuis un an et demi.
Dans les écoles qui ont eu la chance de pouvoir en recruter, le profil
"informatique" était souhaité. Il apparaît donc que les séances
informatiques sont encadrées par eux au détriment de l'enseignant même si c'est ce
dernier qui fixe le thème de la séance. dans ce cas nous pouvons légitimement admettre
que le niveau de l'encadrement correspond au moins au niveau jeune adulte, voire virtuose
même si le côté pédagogique laisse parfois à désirer.
Tenant compte de tous ces éléments, nous pouvons proposer un tableau montrant
l'intensité des interactions en fonction des critères énoncés ci-dessus.
Bien sûr, cette interactivité s'appuie également sur d'autres supports tels que les
interactions verbales, la présence ou non de l'enseignant. Nous allons étudier ces deux
thèmes.
Les
Interactions
Temps de présence active du maître

La mesure du temps de présence réel de l'enseignant avec les enfants nous apparaît
comme un premier indicateur d'une possible interaction entre l'enseignant et le
maître. Nous notons que ce temps décroît régulièrement tout au long de
l'année. Il n'est plus que de quelques minutes au troisième trimestre.
L'enseignant vient donc en pointillé voir travailler les élèves sur leur machine. Le
fait que l'ordinateur soit dans la classe ne change pas ce mode de fonctionnement.
L'enseignant qui a plusieurs niveaux dans sa classe travaille souvent sous forme
d'ateliers et quand il mène un groupe, il est très difficile pour les élèves des
autres groupes de l'interrompre.
Dans le cas de salles spécialisées, soit il s'absente pour aller faire travailler
l'autre groupe, soit s'il est dans la même salle avec le 2e groupe, nous retrouvons la
situation d'atelier de la classe unique.
L'interactionnisme verbal
De ce fait les
échanges verbaux sont très limités. En nous appuyant sur l'analyse des interactions
verbales nous voyons l'existence d'un code implicite entre le maître et l'élève.
À une question brève, Combien ? la réponse vient aussitôt de l'élève et le
maître connaissant l'exercice effectué, puisque c'est lui qui l'a mis en place, est
capable de porter un jugement de valeur sur le travail effectué par l'élève en tenant
compte du niveau de chacun. (cf. Kerbrat Orechioni).
Ainsi que ce soit sur le mode bref, ou sur un mode humoristique "Retourne à la
maison. (cliquer sur home)" ou autoritaire, les échanges verbaux sont courts,
avec des significations différentes selon le degré de qualification de
l'enseignant : demande d'information sur le travail effectué ou simple rappel à
l'ordre pour montrer l'existence du maître, sa présence.
Ces
connaissances communes, ce vocabulaire commun au maître et à l'élève, Garfinkel
l'appelle le schéma d'interprétation. Il est constitué des faits
sanctionnés socialement.
Faire implicitement référence à ces faits organisés du système social est la preuve
pour les acteurs de leur appartenance à une communauté culturelle et sociale qui selon
Coulon "autorise et légitime la documentation sur certains problèmes, et offre
les ressources de sens qui permettent d'interpréter ces problèmes. La connaissance
commune doit être comprise comme un ensemble structuré de faits".
La
présence-absence du maître
Nous venons
d'aborder cette notion de présence. Ainsi que le souligne Foucambert, l'élève a
seulement besoin du "sentiment d'une présence. Le maître devient une
personne ressource. Mais cette présence est très ponctuelle. Nous voyons bien que la
durée où l'enseignant est en relation effective avec l'élève est très courte pendant
une séance.
Certes, les codes de communication habituels type bavardages existent dans certains cas,
les déplacements, les demandes d'intervention également. Mais le maître n'y prête pas
attention tant que le niveau de bavardages reste supportable, et ne répond pas aux
demandes. Nous sommes en présence d'un code implicite : "je suis là mais
faites comme si je n'étais pas là".
Comment
expliquer cette présence/absence de l'enseignant. Nous pouvons avancer plusieurs
hypothèses que nous vérifierons dans les autres classes. La communication sert
au transfert d'une entité que nous appellerons l'information. Si l'information pertinente
est contenue dans les didacticiels, l'élève n'a plus besoin de communiquer avec le
maître et réciproquement. La source de l'information dans ce cas précis devient
l'ordinateur, l'écran et non plus le maître.
Par ailleurs, nombre de pédagogues nous apprennent que la répétition est
nécessaire à l'apprentissage. Or nous voyons que les logiciels utilisés
ci-dessus reprennent les informations amenées par le maître précédemment, ou viennent
en complément de son cours.
Si un des premiers soucis des théoriciens de la télécommunication a été d'éliminer
au maximum la redondance des signes pour en augmenter leur efficacité (cf. Shannon), ici
nous avons à faire une informatique que l'on pourrait qualifier de communication non
efficace puisqu'elle est redondante par rapport au cours. Mais s'agit-il de
communication ?
Il nous reste
une troisième voie à explorer. Celle de l'entraînement.
Quand nous analysons le contenu des didacticiels utilisés en classe,
la majorité d'entre eux ont pour but l'apprentissage, le perfectionnement dans le domaine
de la lecture. Pour réussir dans le métier d'élève, il faut maîtriser cet outil, donc
s'entraîner, répéter inlassablement. Se pose alors ce que LE BORZEC définit comme
Taylorisme. En utilisant des outils comme le chronomètre, en imposant une "loi
de travail individuel" où chacun est responsable de l'exécution d'une
opération définie, le savoir faire devient la propriété du développeur et l'élève
devient un exécutant. Certes, il ne s'agit pas de produire un bien de consommation, nous
sommes dans une situation d'apprentissage, et ceci marque les limites de notre critique.
Néanmoins, nous retrouvons dans Elmo, Lirebel
les caractéristiques du taylorisme
Il nous faut
revenir à cette notion de présence/absence du maître, ce sentiment de présence. La
présence du maître est une condition nécessaire pour qu'il y ait
communication maître-élève, mais non suffisante. L'absence corporelle
du maître est irréfutable, ne peut pas être niée. Comme il n'existe pas dans ces
écoles de vidéo-surveillance ou tout autre moyen de communiquer d'une salle à une
autre, sauf si un grand chahut éclatait dans la classe, nous pouvons émettre
l'hypothèse qu'il n'y a pas de communication maître-élève en l'absence de celui-ci et
qu'il y a simplement une relation élève-ordinateur.
Mais dans le cas où l'instituteur est présent, qu'en est-il ? Il faudrait
d'abord définir ce qu'est le présent. Le présent est le "moment
où l'on parle" (Larousse 1995). Cette notion nous est familière et se situe par
rapport au passé et au futur. Pour Lussato, "Le présent est une mince glace
entre deux éternités". En approfondissant sa recherche, Lussato déclare que le
concept du présent n'appartient pas au champ d'étude de la science objective, celle des
physiciens et des biologistes.
Nous pouvons faire référence à Bergson et à son image du présent par la pyramide
inversée dont la pointe touche une surface, cette pointe étant le présent.
Si nous
considérons le maître comme élément essentiel de la communication
maître-élève-machine, deux états sont possibles :
Soit le
maître est absent physiquement, situé ailleurs, cet ailleurs pouvant être la salle de
classe, la bibliothèque, auquel cas compte tenu des technologies employées dans ces
écoles, il ne peut y avoir de relation maître-élève.
Soit il
est présent au sein de la salle informatique. Mais notre étude montre que ceci n'est pas
suffisant pour instaurer une relation maître-élève. La non réponse aux demandes
d'intervention des élèves, le suivi d'un autre groupe d'élèves que ceux travaillant
sur les ordinateurs, l'absence parfois quasi totale des relations verbales sont autant
d'indicateurs de cette non-relation.
Il est vrai qu'interrompre
l'interaction élève-machine n'est pas facile. L'élève travaillant sur Elmo,
Lirebel ou ADI est astreint à lire, surtout dans le cas d'Elmo. De plus, accaparé
pendant un temps assez long puisque chaque élève passe au minimum 1/4 d'heure voire une
demi-heure devant l'écran, il n'est plus disponible pour une autre relation. "Quand
les êtres sont reliés l'un à l'autre pendant un certain temps, on peut admettre
légitimement que la grandeur de l'interaction croit d'autant plus que celle-ci dure plus
longtemps"(Moles).
Nous pouvons objecter que l'ordinateur n'est pas un être, mais derrière le logiciel
existe un développeur qui a réalisé le programme, et l'élève dialogue avec le
développeur à travers ce programme.
De plus s'agissant dans la majorité des cas d'un entraînement, l'intervention de
l'enseignant ne se justifie pas vraiment. N'oublions pas non plus que le temps est compté
à l'élève. L'affirmation de Metayer selon laquelle "Le temps est devenu dans
notre société un bien mesuré " s'est vérifiée et trouve dans les séances
informatiques une parfaite illustration.
Cette notion de temps présent est reprise par Virilio, en terme de "proximité
médiatique", et de dédoublement de la personnalité du sujet.
En ce qui
concerne la présence, au-delà du sentiment de présence dont parle Foucambert, Metayer
insiste sur le fait que "le besoin de présence est probablement le plus primaire
des besoins de communication sociale". Mais dans le même temps, il précise que
ce besoin est différent selon les conditions, cest-à-dire qu'en milieu rural cette
présence est une condition nécessaire et suffisante alors que dans la société
technicienne où la communication peut s'opérer à distance, cette présence ne suffit
pas.
Ainsi, les
approches de la notion de présence que nous venons d'étudier montrent l'insuffisance
d'une simple présence pour établir une relation maître-élève. Ceci paraît
logique dans la mesure où la véritable communication repose sur un échange
d'informations, de données, ce qui est le cas dans la relation élève-machine. Cet
échange privilégié exclut de fait l'enseignant qui ne suit pas de près les élèves
travaillant sur les ordinateurs. D'où la nécessité pour les développeurs de prévoir
un système récapitulatif de notes à la fin de chaque exercice pour permettre à
l'enseignant de vérifier le travail accompli et de connaître la progression de
l'élève. Mais cette possibilité n'a été véritablement exploitée que par la classe 3
qui travaillait sur Elmo, et dans une moindre mesure par la 4 avec Lirebel.
Il est à noter
que la seule véritable triple relation enseignant-élève-ordinateur ne nous est apparue
que dans deux ou trois situations précises et limitées : la situation
d'apprentissage et de découverte de la machine (en maternelle ou CP par exemple), la
réalisation d'un journal hors temps scolaire, et la prise en main de séances de
traitement de textes par des CES. En dehors de ces temps précis, le maître était
virtuellement absent.
Pourquoi parler
d'absence virtuelle ? par analogie avec la réalité
virtuelle. Selon De Rosnay, la réalité virtuelle c'est l'interactivité
nécessaire pour un projet, plus le temps réel, plus un feed-back sensoriel.
Or, dans les cas étudiés, hormis le temps réel, il n'y a pas de feed-back sensoriel
entre le maître et l'élève, ni d'interactivité. Il y a une présence affaiblie de
l'enseignant, ce que Queau qualifie de représentation.
Pour lui, le virtuel n'est ni irréel, ni potentiel, il est dans l'ordre du réel.
"Le virtuel est présent, d'une manière réelle et actuelle, quoique cachée,
souterraine, inévidente. Le virtuel, c'est la présence réelle et discrète de la cause".
Nous pouvons rapprocher cela de la notion de représentation sociale développée par
Moscovici du fait de l'importance du contexte, des normes et des valeurs
Ceci nous paraît fondamental, car la présence n'est ni une distance, ni une
représentation. Or le modèle qui nous est donné à voir dans ce cas est la présence
d'une absence. Étant absent en même temps de la classe où se trouve l'autre moitié du
groupe d'élèves, nous pouvons renverser le raisonnement de la présence simultanée en
différents lieux par une absence simultanée dans ces mêmes lieux.
Si l'ubiquité selon De Rosnay est un fondamental de la réalité virtuelle, cette
notion d'être présent partout à la fois peut s'appliquer à l'absence. L'enseignant est
absent partout à la fois, en même temps. La rationalité implique dans la réalité une
non contradiction : être absent ici et maintenant exclu la possibilité d'être
absent au même moment dans l'autre salle. La virtualité n'est pas soumise à ces
contraintes : on peut être absent en plusieurs endroits à la fois.
L'absence virtuelle.
Il reste un
problème à étudier : Cette absence virtuelle de l'enseignant n'occulte pas le fait
que le maître est réellement présent. cette réalité est
irréfutable, nous résiste. "Le monde réel ne dépend pas de nous. Il est
indifférent à notre acquiescement à son égard, à notre présence même. Il peut se
passer de nous, mais non pas nous de lui."nous dit Queau. Nous touchons là les
limites de notre raisonnement. Le maître ne présente pas l'image de l'absence, mais
celle de la réalité de sa présence. L'élève peut entendre le son de sa voix quand il
parle à l'autre groupe. En fait, c'est la notion d'absence qui devient difficile à
cerner, à définir.
Nous pouvons
prendre cette absence au sens d'oubli, oubli que l'enseignant est
présent, oubli de son statut ce qui autorise les bavardages. Nous pouvons également
considérer l'absence comme un moment d'inattention. Pour qu'il y ait "absence
réelle", les deux entités, élèves et maître, doivent implicitement se mettre
d'accord sur cet état : "Je suis là physiquement mais je n'y suis pas pour
vous." Il s'agit donc d'un jeu de rôle, où le maître délègue à l'ordinateur
la fonction de formateur, de répétiteur, sachant qu'à chaque instant ce "modus
vivendi" peut être rompu par l'un des deux partis.
Enfin, il ne
faut pas oublier que derrière chaque logiciel existe un concepteur. Des
questions de sens se trouvent ainsi posées. Nous sommes confrontés ici aussi à une
énigmatique présence absence : l'élève travaille sur un programme pensé, écrit
par d'autres, qui ont essayé d'imaginer toutes les réponses possibles à toutes les
demandes possibles. Mais il suffit d'une seule non prévue pour que l'erreur se produise,
que la machine se bloque.
L'avenir
Avec Internet,
nous rentrons encore plus dans ce monde de la présence-absence, cette vraie-fausse
accessibilité du lointain, dans la virtualité du monde.
Devant la difficulté en 1999 de pouvoir observer les usages concrets du Web en classe
(peu de classes équipées) nous pouvons à partir d'entretiens et de questionnaires
dresser un tableau des représentations sur ce que pensent les enseignants de ce média.
Selon une étude réalisée en 1998 en agglomération urbaine par Françoise Queille
sur la base de questionnaires auprès d'une centaine d'enseignants du primaire, une
majorité avaient une opinion favorable des TIC, et 5 % seulement étaient
défavorables, les débutants et les plus chevronnés étant les plus favorables.
Tous les
enseignants accepteraient Internet dans la classe car il fait partie de la société
d'aujourd'hui. Nous sommes loin des prétendues résistances à l'introduction de cet
outil. Mais les modalités d'introduction varient. La moitié pense que
l'enseignant doit l'utiliser en tâtonnant avec ses élèves pour en découvrir les usages
(essai-erreur). 40 % préfèrent d'abord maîtriser l'outil avant de le proposer aux
élèves.
Quand aux
demandes de formation, la quasi totalité demande qu'elle porte sur une
réflexion par rapport à l'utilisation de cet outil dans la classe. Ensuite vient le
souhait d'avoir la possibilité de manipuler le matériel et de surfer sur Internet.
Il est remarquable de noter qu'en 1998, 50 enseignants ont suivi un stage long d'1 mois
en gironde et 25 quelques journées en Charente maritime. ces chiffres représentent moins
de 1 % du corps enseignant des départements concernés. À ce rythme, nous aurons
fini en 2100
Références
bibliographiques
LAGUERRE
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SCHWACH
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