LES RAPPORTS ENTRE
LA MUSIQUE ET LA PHYSIQUE :
LEURS ASPECTS PÉDAGOGIQUES

Daniel BEAUFILS, Marcel-Jean VILCOSQUI
© INRP - TECNE
Dernière mise à jour 05/06/1998


bullr.gif (939 octets)  Les origines de ce rapport : le Quadrivium 
       bullv.gif (938 octets)  Les études scientifiques de Pythagore et leurs conséquences 
       bullv.gif (938 octets)  Les cursus scolaires selon Pythagore et ses disciples 
bullr.gif (939 octets)  Les recherches pluridisciplinaires indépendantes 
bullr.gif (939 octets)  Relations entre l'éducation musicale et l'enseignement
      de la physique du XIXe siècle à nos jours
bullr.gif (939 octets)  Bibliographie succincte 


bullr.gif (939 octets)  LES ORIGINES DE CE RAPPORT : LE QUADRIVIUM     index.gif (967 octets)

L’histoire de la musique européenne commence véritablement durant l’Antiquité grecque. Cette naissance n’est pas la résultante d’un ouvrage musical particulier ni même, comme certains pourraient le penser, le fruit d’un artiste novateur mais elle est surtout, pour l’essentiel, la conséquence d’une brillante découverte du génial mathématicien  PYTHAGORE.

bullv.gif (938 octets)  1.1. Les études scientifiques de Pythagore et leurs conséquences     index.gif (967 octets)

"À chaque fois que l’on élève une note d’une quinte, on multiplie sa fréquence par 3/2", par cette formule mathématique PYTHAGORE (582 av. J.C. - 496 av. J.C.) va établir notre système musical. En effet, par le biais de ses calculs ayant pour base un phénomène physique, le savant va construire une série de 7 sons conjoints qui deviendront nos notes (celles-ci, ensuite, seront symbolisées par les sept premières lettres de l’alphabet, la première correspondant à notre note "la", dénomination toujours en vigueur dans presque tous les pays ; ces lettres permettront, en plus, une écriture musicale rudimentaire des hauteurs, écriture encore utilisée actuellement dans certains cas). A la suite des 7 sons, séparés les uns des autres par des intervalles précis - tons et demi-tons -, il est possible d’ajouter un huitième son, reprise du premier mais à l’octave, et de recommencer ainsi la série.

Pour composer un air, PYTHAGORE suggère de n’utiliser que 4 sons consécutifs appelés "un tétracorde" : exemples avec notre dénomination des notes, "do, ré, mi, fa" ou "sol, la, si, do", ou encore "ré, mi, fa, sol", "la, si, do, ré"…

Ce rapport entre les nombres et les sons aboutira, au XVIe siècle, à l’élaboration de nos gammes européennes formées de deux tétracordes voisins réunis, donc 8 notes, et à privilégier deux de ces tétracordes assemblés : "do, ré, mi, fa, sol, la, si, do". Par ce fait notre gamme se singularise, entre autres, des gammes asiatiques pentatoniques ou gammes arabes avec des intervalles "augmentés".

Ainsi, six siècles avant Jésus-Christ, des recherches alliant mathématiques, sciences physiques et étude des sons ont constitué les prémices de notre gamme européenne principale. Certes, des contestations se sont élevées, mais bien plus tard, quant au mode de calcul des intervalles entre les notes originelles et sans remettre en cause les grandes lignes de cette théorie devenue presque universelle.

ARISTOXENE, vers les années 300 après J.C., toujours sur des bases scientifiques, suggérera (voir ses ouvrages Principes de l’harmonique et Éléments de l’harmonique) des modifications dans les distances entre les sons car il part, lui, de l’idée qu’en divisant la corde d’un instrument en 2, 3 ou 4 parties égales les calculs aboutissent à une série de 7 notes, un peu différente de celle de PYTHAGORE.

Il appartiendra à l’Italien Gioseffo ZARLINO nommé encore ZARLIN (1517-1590) de parfaire cette dernière idée - vraisemblablement par l’observation des nœuds et des ventres lors du phénomène vibratoire d’une corde - en utilisant la série dite des "harmoniques  naturels". Une fois définis par progression mathématique (multiples simples des fréquences F, 2F, 3F…nF), chacun de ces harmoniques étant affecté de son chiffre d’apparition, il résulte une série de fractions pour qualifier et déterminer l’intervalle (exemples : l’intervalle do-ré devient 9/8, l’intervalle ré-mi 10/9). Ce mode de calcul fournit encore de nouveaux résultats par rapport à ses prédécesseurs.

Pour l’instant, sans entrer dans les détails, il faut savoir que la gamme de PYTHAGORE a pour inconvénient, par son processus de calcul, de déterminer une tierce majeure trop haute, une tierce mineure trop basse – c’est la "gamme des violonistes" lesquels retrouvent ce défaut en jouant - mais avec en plus … une octave trop grande !
La gamme de ZARLINO partant d’un son "fondamental" offre des résultats plus compliqués à gérer car elle entraîne deux sortes de tons (les majeurs 9/8 et les mineurs 10/9) mais compte tenu de sa justesse mathématique dans une gamme donnée, elle est appelée "gamme naturelle" ou "gamme des physiciens". Elle a l’inconvénient de devoir être recalculée selon la note de départ, donc il est impossible de transposer (exemple : do-ré 9/8, ré-mi 10/9 ne donne pas le même résultat que sol-la 10/9, la-si 9/8) ; deux conséquences : les modulations dans des tons voisins sont supportables pour l’oreille mais deviennent intolérables dans les tons éloignés, sans compter tous les problèmes qu’entraîneraient une œuvre ayant à la clé beaucoup de bémols ou de dièses puis une œuvre sans une altération, toutes les deux jouées sur le même instrument à clavier.

Pour compliquer le tout, durant la Renaissance, on ajoutera progressivement 5 sons supplémentaires (les touches noires du clavier) à la série de 7 sons et ZARLINO, semble-t-il, donnera naissance aux gammes mineures et majeures car il va "démontrer que les accords majeur et mineur naissent de la série des six premiers sons harmoniques".

D’évidence ces constats montrent que la musique est tributaire des calculs scientifiques, elle le sera longtemps aussi pour ce qui concerne la pédagogie.

 

bullv.gif (938 octets)  1.2. Les cursus scolaires selon Pythagore et ses disciples     index.gif (967 octets)

Innovation du mathématicien cette fois sur le plan de l’enseignement. Selon l’auteur de la célèbre "table", quatre disciplines font partie du même cycle universitaire : l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et … la musique. Cette idée, de rassembler quatre domaines – avec, en particulier, la musique - dans une série scientifique étonne de nos jours, pourtant cette conception a prévalu pendant deux millénaires !

Au Ve siècle, Martianus CAPELLA reprend à son compte cette conception et l’amplifie. Pour lui, les étudiants doivent d’abord suivre un premier cycle d’études littéraires (grammaire, rhétorique et dialectique) avant de pouvoir aborder un second cycle comprenant les quatre sciences prônées par PYTHAGORE appelées alors "le quadrivium".

Beaucoup plus tardivement, au XIIIe siècle, le pédagogue Jean de MURIS affirmera que "la musique, telle qu’elle est enseignée en Université, peut être considérée comme une science".

En fait, ni le chant grégorien, ni plus tard la composition d’un air de Cour ou d’un opéra ne nécessitera pour le musicien des connaissances mathématiques, toutefois, les musicologues avertis ne manqueront pas de souligner que certaines œuvres médiévales dites "isorythmiques" sont basées sur les nombres ; de plus, la perce d’un trou de flûte, l’élaboration d’un violon, l’accord d’un instrument font référence à la physique du son même si l’oreille intervient.

Marin MERSENNE (1588-1648) va, lui, étudier les phénomènes de résonance et tenter en vain d’imposer le "tempérament égal" pour faciliter l’accord des instruments de musique, mais, son contemporain René DESCARTES (1596-1650), tout en reconnaissant des fondements mathématiques à l’Art, y ajoute une pointe d’irrationnel le "je ne sais quoi". Cette dernière idée va engendrer une philosophie : l’esthétique en Art. Le nouveau concept commencera à ébranler, dans les esprits, l’union jusque là si parfaite des mathématiques et de la musique.

Il appartiendra à Joseph SAUVEUR (1653-1716), professeur de mathématiques au Collège de France à la fois de "déterminer de façon exacte le nombre de vibrations d’un son" mais aussi de porter un coup fatal au quadrivium. Le Dictionnaire de la Musique, publié en 1970 sous la direction de Marc HONNEGER, affirme : "En voulant apporter des lumières sur le problème de la métaphysique de "l’agréable" musical, il accomplit la séparation définitive entre la physique qui relève des sciences et la pratique musicale qui appartient au domaine de l’Art".

Faut-il voir un rapport de cause à effet quand, en 1686, à la création de la Maison Royale de Saint-Cyr, on inclut, dans l’enseignement, la musique comme art d’agrément pour la bonne éducation des jeunes filles ?


bullr.gif (939 octets)  LES RECHERCHES PLURIDISCIPLINAIRES INDÉPENDANTES     index.gif (967 octets)

Malgré la nouvelle optique de la pensée en matière artistique, certaines célébrités du monde musical vont persévérer en puisant dans des théories scientifiques les bases de leurs œuvres.

Ainsi, à titre personnel le compositeur Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764) va s’intéresser aux recherches concernant les harmoniques du son (le Père MERSENNE, en 1636, avait remis en évidence ces sons concomitants, presque inaudibles à l’oreille humaine, qui coexistent obligatoirement et apparaissent toujours dans le même ordre à la suite d’une note dite "le fondamental"). Le musicien va donc rédiger des ouvrages didactiques Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels (1722), Génération harmonique (1737) et Démonstration du principe de l’harmonie servant de base à tout l’art musical (1750). Il y établit une hiérarchie des notes calquée sur le principe physique de ces harmoniques ; sa théorie consiste à mettre en relief l’importance de l’ordre d’apparition de ces harmoniques - premier, cinquième et troisième degrés (exemple : en jouant un do sur un instrument il est possible d’entendre en plus un sol et un mi). RAMEAU en déduira que ces 3 degrés sont primordiaux dans une gamme. Il nommera "accord parfait" l’ensemble de ces 3 sons et proposera de les faire entendre dans une œuvre plus souvent que les autres. Ses partitions vocales et instrumentales serviront de démonstration à cette nouvelle théorie, soit par la répétition à outrance des trois notes simultanées, soit par des mélodies arpégées sur ces trois notes (exemples : do, mi, sol ou sol, si ré, selon la gamme choisie). Il écrit : "Que ce principe est merveilleux dans sa simplicité. Tant d’accords, tant de beaux chants, cette diversité infinie, ces expressions si belles et si justes, ces sentiments si bien rendus ; tout cela provient de deux ou trois intervalles disposés en tierces, dont le principe subsiste dans un seul son !".

Une fois de plus, cette conception bi-disciplinaire de la musique a entraîné des conséquences sur la création musicale et la pratique qui en découle sera presque universellement adoptée malgré les protestations de l’époque, dont J.J. ROUSSEAU jugeant cette conception de la pensée absente d’émotion comme la musique qui en découle : "Les Français n’ont point de musique et ne peuvent en avoir, ou que si jamais ils en ont une, se serait tant pis pour eux".

Autre exemple de l’interpénétration des connaissances mathématiques et musicales, celui de Jean-Sébastien BACH (1685-1750). Lui, s’intéresse aux problèmes de l’accord des instruments : il constate que les claviers accordés selon le principe de PYTHAGORE ou ZARLINO empêchent, entre autres, les modulations car les tons ne sont pas tous semblables. Il va donc chercher une échappatoire pour ne pas être entravé dans sa créativité et va trouver la solution dans les travaux d’un confrère.

En effet, à l’époque de BACH on accordait encore les instruments suivant les préceptes de PYTHAGORE ou ceux de ZARLINO. Or, PYTHAGORE avait en son temps calculé la distance entre chaque note par le cycle des quintes ascendantes et descendantes (chaque fois que l’on élève une note d’une quinte, on multiplie sa fréquence par 3/2) et ZARLINO utilisé la série des harmoniques (série naturelle créée par un son fondamental de fréquence F, et une série de sons concomitants multiples simples de cette fréquence, 2F, 3F, …nF) ce qui donne des harmoniques faux à partir du septième, ainsi que leurs octaves.

Autour des années 1700, un musicien féru de mathématiques va proposer un autre mode de calcul des intervalles entre les notes. Dans son Musicalische Temperatur et Musicae mathematicae, Andreas WERCKMEISTER (1645-1706) va suggérer diverses solutions d’étagement des notes permettant d’accorder différemment les instruments dans le but de moduler dans tous les tons sans aucun soucis. En définitive, il prônera dans Hypomnemata Musica (vers 1690) un tempérament égal, c’est à dire la division arbitraire d’une octave en douze demi-tons à égale distance les uns des autres … ce qui va créer une gamme absolument fausse du point de vue d’un physicien mais qui permet de jouer, par exemple, "do, ré, mi" ou "sol, la, si" en entendant exactement la même mélodie mais transposée (HUYGENS puis HOLDER proposeront sans succès, à la même époque, d’autres modes de calculs) .

Pour WERCKMEISTER, l’accord appelé "tempéré" équivaut à une racine douzième de 2, aboutissant à donner un intervalle absolument égal entre tous les demi-tons et à avoir pour conséquence une même touche de clavier affecté à deux notes tout à fait différentes de son (sur le plan des calculs physiques). Ainsi les notes do dièse et ré bémol (ou ré dièse et mi bémol) seront jouées sur la même touche alors qu’il faudrait 2 touches différentes, mais ces 2 notes pourront être juxtaposées sur une partition sans avoir à refaire l’accord de l’instrument.

Jean Sébastien BACH entérinera ce compromis de WERCKMEISTER, qu’il sera dans les premiers à utiliser systématiquement dès qu’il aura connaissance des propositions de son contemporain. Ainsi il publiera - l’année où RAMEAU fait paraître son Traité de l’Harmonie (1722) -, un premier livre du Clavecin tempéré comprenant 24 préludes et fugues de diverses difficultés techniques. La première œuvre est en do majeur, la seconde en do mineur, la troisième en do dièse majeur (7 dièses à la clé), etc…dont sa "Préface" semble en partie dissimuler l’impact exact : "Préludes et Fugues dans tous les tons et demi-tons, et concernant aussi bien la tierce majeure do-ré-mi que la tierce mineure ré-mi-fa. Écrit et composé à l’usage de la jeunesse désireuse d’apprendre la musique, aussi bien que pour ceux déjà experts en cet art".

En 1744, BACH publiera un second Livre avec la même structure et prouvant, une nouvelle fois, que cette façon d’accorder l’instrument ne gênait pas l’auditeur, permettait de jouer consécutivement dans plusieurs tonalités sans réaccorder et l’autorisait à des modulations infinies. Ces deux ouvrages purement musicaux vont bouleverser les habitudes ancestrales et, jusqu’à nos jours, feront admettre cette curieuse conception. De fait, il a semblé au compositeur que l’oreille humaine - y compris la sienne - saurait parfaitement s’adapter à une musique dont la base ne répond à aucune loi physique mais à une découpe mathématique facile à gérer sur le plan musical ! Il en est fini de danses dans le même ton du début à la fin, avec quelques rares modulations ainsi que des discussions interminables sur l’accord des instruments !

Le divorce entre la physique et la musique semble alors consommé puisque cette dernière se rapproche des mathématiques. Avec la révolution française et la naissance des Grandes Écoles comment va évoluer la situation ?


bullr.gif (939 octets)  RELATIONS ENTRE L’ÉDUCATION MUSICALE ET L’ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIQUE DU XIXe SIÈCLE À NOS JOURS     index.gif (967 octets)

En 1795, le Conservatoire National Supérieur de Musique ouvre ses portes à Paris. Il ne comprend aucune section visant à l’étude de la physique. Simultanément, suivant en cela les recommandations de CONDORCET au nom du Comité d’Instruction publique à la Législative, l’enseignement des nouvelles Écoles Centrales comprend trois sections : d’abord celle ou il est enseigné le dessin ("la géométrie des yeux"), l’histoire naturelle et les langues, puis celle comprenant les mathématiques, la physique et la chimie, enfin grammaire, belles-lettres, histoire et législation. Point de musique !

Néanmoins, le député du Bas-Rhin, ARBOGAST, dans son rapport et projet de décret affirme qu’il est urgent de faire écrire des ouvrages concernant les sciences et les arts pour les élèves des écoles primaires et secondaires. Son idée est reprise, cinq années plus tard, en 1797, par une circulaire du ministre François de NEUFCHATEAU. En 1829, on songe à la composition d’un livre de lecture pour les écoles élémentaires supérieures, livre comprenant "une explication nette et précise des phénomènes sensibles de la nature, des notions exactes et tout à fait élémentaires sur les sciences et les arts qui se rattachent aux premiers besoins de la vie ".

Pour l’heure, la querelle primordiale réside, dans l’enseignement, de la rivalité entre sciences et lettres. La musique n’est donc pas un sujet essentiel.

L’ordonnance de 1836 renforce la mise à l’écart de la musique prônée dans la loi GUIZOT de 1833. La musique qui était une discipline facultative devient obligatoire … uniquement pour les filles dans leur instruction élémentaire et cet "art d’agrément" prend la place du "système légal des poids et mesures" obligatoire pour les garçons seuls.

Pourtant, par paradoxe, durant ce début du XIXe siècle, d’importantes découvertes réuniront physique et musique. De fait, elles deviendront les prémices de la future informatique.

En effet, par une curieuse alchimie, la musique, l’art des sons, et les sciences vont se trouver imbriquées dans une série de trouvailles, sans lien en apparence, qui vont aboutir à l’informatique. Au préalable pour comprendre le contexte, il faut savoir que cette invention finale supposait de surmonter des problèmes mathématiques, des problèmes matériels et des problèmes de transmission du son.

Sur le plan mathématiques, dès le début du XVIe siècle, l’anglais Francis BACON (1561-1626), pour transmettre facilement des messages à distance, avait été amené à découvrir le code binaire ; curieusement, il avait utilisé des instruments de musique (trompettes, cloches…) pour transmettre de manière simple des informations avec deux éléments différents. Ainsi, la musique a donné naissance, peut-on dire, au langage informatique de base.

En ce qui concerne les problèmes matériels qui touchent à la création de l’informatique, là encore, par coïncidence, la musique se trouve présente. Jacques de VAUCANSON (1709-1792), au milieu du XVIIIe siècle, parvenait à construire un petit musicien animé grâce à un système basé sur le cylindre à cames ; non seulement les doigts bougeaient mais la bouche également. Les mouvements des lèvres permettaient de faire varier le débit de l’air entrant dans l’instrument. Il s’agit là déjà d’une programmation, au sens strict. Le même inventeur, nommé inspecteur des soieries, allait être aussi le constructeur d’un métier à tisser. Napoléon fit appel, en 1801, à Joseph-Marie JACQUART (1752-1834) pour réparer un appareil de VAUCANSON, appareil qui avait été endommagé. Outre la réparation, JACQUART fabriqua un métier à tisser perfectionné, basé sur le système binaire : il comportait ou ne comportait pas de trous. Le carton perforé (comme dans l’orgue de Barbarie) - devenu une simple carte - sera très longtemps l’un des éléments essentiels de l’informatique. Seconde invention partie de la musique alliée à la technique !

Il fallait encore découvrir la transmission électrique des messages. Là encore, par le biais de l’étude du son, un mathématicien et physicien va apporter une pierre décisive : "Fourier découvre en effet que n’importe quelle variation d’une quantité avec le temps peut être représentée avec précision comme la somme d’un certain nombre de variations sinusoïdales, d’amplitudes, de phases et de fréquences différentes. En clair cela signifie qu’une variation quelconque d’un élément, aussi anarchique et imprévisible soit-il, est entièrement représentable par une somme de fonctions mathématiques régulières, elle-mêmes exprimables en terme de signaux électriques", nous apprend L’Histoire de l’Informatique de Philippe BRETON, 1987.

Effectivement, Joseph FOURIER (1768-1830), membre du corps enseignant à la fondation de l'École Polytechnique, va faire progresser notablement la connaissance scientifique du son et la loi de Fourier (1812) permet encore maintenant de comprendre la structure physique du son et d’en envisager la synthèse. En plus de la connaissance sonore, cette importante découverte va ouvrir la voie à la transmission électrique du son puis à l’informatique.

Dans ce domaine physico-sonore, il faut ajouter, autour des années 1850, la diffusion à distance trouvée par MORSE (1832), celle d’EDISON (1874) et le téléphone de BELL (1875).

Toutes ces études sur la physique du son peuvent être mises en parallèle avec celles, plus proches de la musique, d’Ernst CHLADNI (1756-1827), lequel met en relief les vibrations longitudinales des cordes d’un instrument.

L’acousticien Félix SAVART (1791-1841), médecin puis physicien conservateur du Cabinet de Physique au Collège de France, va donner son nom à une unité d’intervalle, "le savart", intervalle ayant pour logarithme 0,001 pris pour unité car il correspond au pouvoir discriminatoire de l’ouïe, autrement dit au plus petit intervalle perceptible. Hermann von HELMHOLTZ (1821-1894) permettait, outre-Rhin, par ses nombreux travaux en médecine et en physiologie de faire avancer d’autres notions importantes de perception auditive et d’acoustique.

Mais, la rencontre prépondérante entre scientifiques et musiciens se fera, en France, dans le but de fixer définitivement, croit-on, la hauteur du diapason. Une commission composée du physicien Jules LISAJOUS (1822-1863) et, entre autres, du compositeur Jacques HALEVY (1799-1862) pensait immobiliser à 435 Hertz (vibrations par seconde) la hauteur du la. Un arrêté ministériel du 16 février 1859 n’a pu pérenniser cette décision laquelle, toutefois, a eu le mérite de rétablir les liens officiels entre les deux disciplines.

De fait, l’acoustique va être intégrée, autour des années 1870, dans les programmes des études secondaires. Les élèves des classes de Lettres ayant choisi l’option philosophie devront connaître "la production et la propagation du son. Ses qualités. Intervalles musicaux. L’accord parfait" ; un programme a peu près similaire sera exigé en classe de Mathématiques élémentaires : "Production du son. Hauteur du son. Vibration des cordes. Gammes et intervalles musicaux".

Toutefois les programmes de musique demeurent inchangés. En 1880 elle fait enfin partie des connaissances des cours secondaires mais uniquement pour les jeunes filles (à côté des "travaux de l’aiguille, du dessin et de la gymnastique") ; en 1883 elle est imposée pour les filles dans l’enseignement primaire. Dans ces conditions, quel élève masculin était capable de comprendre le programme de sciences nécessitant un savoir musical ?

Très tôt les autorités ont dû se rendre compte de ce problème et ont tenté, semble-t-il, de renforcer la physique du son. Par arrêté du 2 août 1880 l’acoustique fait partie, dans le programme de physique, aussi bien des savoirs des élèves de 6ème ("Propagation du son. Vitesse du son") que de seconde ("Propagation du son. Mode de propagation du son dans l’air. Sa vitesse dans les gaz, les liquides et les solides. Intensité : Hauteur. Intervalles musicaux. Harmoniques. Timbre."). Le même thème est développé dans les classes de philosophie ("Propagation du son dans les solides, les liquides et les gaz. Réflexion du son. Tuyaux sonores") ainsi que des programmes des classes de mathématiques élémentaires. Dix ans plus tard, seuls les cours d’acoustique en classe de philosophie demeureront et, en 1912, des séances sur "Nature et qualité des sons" figurent aussi au programme de troisième (en 1938 on y ajoutera la vitesse de propagation du son). Toujours en 1912 les classes du niveau secondaire de philosophie et de mathématiques voient leurs programmes d’acoustique se gonfler sérieusement, comprenant même des cours sur les lois de vibrations transversales des cordes, le phonographe ou les phénomènes périodiques…sans la finalité musicale.

Tous ces changements subits révèlent les difficultés à mettre en place une cohérence dans ce secteur d’activité éducative.

Il faut savoir qu’au début du XXe siècle encore, alors qu’une jeune femme vient, par exception, d’obtenir le "Grand Prix de Composition de Rome", un décret du 25 mars 1924, rappelle que la musique voisine avec l’économie domestique et les travaux à l’aiguille dans les lycées et collèges de jeunes filles. En 1937, seulement, les cours de chant deviendront obligatoires pour les garçons dans le premier cycle, et facultatifs dans le second. Une instruction du 21 septembre 1944 précise que l’enseignement musical a pour objet d’amener les élèves à chanter en chœur et leur donner le goût pour la musique : "il peut y avoir avantage à partir du jazz-band, de la danse moderne, pour faire comprendre la musique primitive".

Enfin, par les instructions du 24 janvier 1947, certains professeurs de musique pourront aborder la physique : le programme de fin d’études primaire, dans le cadre des activités dirigées, suggérera la fabrication d’instruments de musique par les élèves, "travail fait en relation avec le professeur de dessin, recherches, esquisses et le professeur de sciences : lois physiques ".De même les "classes pilotes" inaugurées en 1952 (circulaire du 30 mai) affirmeront : "Le fait de fabriquer des instruments – flûtes, cithares, instrument à anche et tout autre – tout en révélant aux enfants certains secrets de l’acoustique, les rend curieux du timbre et de la technique des instruments". C’est toutefois toujours dans les classes de terminales, section philosophie et sciences expérimentales, que l’acoustique sera toujours examinée en détails.

Depuis lors, les directives n’ont cessé d’évoluer.

Dès 1956, l’acoustique sera supprimée de tous les programmes de musique. Une allusion y sera faite pour les classes terminales à option musique (A 6) par la circulaire du 14 octobre 1968 dans laquelle il est écrit que les sources nouvelles (ondes Martenot, appareils électroniques et moyens de la musique concrète) doivent être abordées. De même, la circulaire du 29 avril 1977 prévoit en classes de 4e et 3e "l’aspect et l’évolution de l’art musical en relation avec (…) un matériel sonore (ex. appareils électroniques)".

Peut-être en raison de l’apparition de l’ordinateur, les arrêtés concernant tant les programmes de physique que ceux de musique vont s’entrecroiser ; en effet, ce nouvel outil permet d’analyser et de créer des sons. Ce double attrait concerne les deux matières.

Il semble que ce soit les musiciens les premiers qui aient vu ce rôle. Ne sont-ils pas, d’ailleurs, à l’origine de l’invention ?

Si le programme de physique de 1981 n’y fait aucune allusion, celui de musique, en 1982, ne cache pas son intérêt pour la nouveauté. La classe de terminale en physique se borne à l’étude de la vibration et propagation du son (oscillateurs, ondes sinusoïdales, phénomène de résonance…), tandis que les classes de Collège (6e, 5e, 4e, 3e) doivent y recourir, "s’ils disposent de la richesse des moyens matériels (ordinateur, synthétiseur et magnétophone)". Les élèves doivent pouvoir reconnaître, analyser et identifier des composantes du monde sonore "hauteur, durée, intensité, dynamique, timbre, attaque, etc…" ces dernières relevant déjà de l’analyse physique. Ceux qui en douteraient se reporteront aux précisions apportées pour les cours de 4e et 3e : "Apport de quelques notions élémentaires d’acoustique à l’occasion d’exercices pratiques". Outre le rappel de ce dernier texte, un "complément" sera même ajouté dans l’arrêté du 14 novembre 1985 visant les classes de 6e et 5e : "Il convient d’ajouter le travail de création (bande sonore, jingle, spot publicitaire) incluant un matériel électro-acoustique". Cet additif, à peine modifié, sera inclus l’année suivante, en 1986, dans les contenus des classes de seconde, première et terminale à option musique ! La connaissance des sources sonores nouvelles et leur manipulation, dit-on, "seront utilement exploitées pour élargir le champ d’investigation du monde sonore, affiner l’oreille, faire évoluer les goûts…".

Enfin, dans deux Bulletins Officiels hors-série, du 24 septembre 1992, les deux disciplines se trouveront réunies dans une même optique rappelant la démarche de PYTHAGORE.

D’une part, "L’enseignement musical au Lycée" stipule "Des travaux scientifiques et créatifs seront menés en liaison avec le cours de Physique (Acoustique)". D’autre part, le programme de physique des classes de seconde générales et technologiques "prend appui sur un thème conducteur qui concerne l’environnement quotidien et qui suscite particulièrement l’investissement de nombreux adolescents : sons, reproduction des sons, musique et lumière". Les deux programmes réunis forment un ensemble de plusieurs pages avec des activités très détaillées. En musique, pour la classe de seconde "le travail de perception et d’analyse des bruits et des sons sera perçu, pour une part, en liaison avec l’enseignement de la physique. Le programme de seconde dans cette dernière discipline prévoit en effet : l’étude des sons et ultra-sons à partir d’émissions diverses…". Il s’ensuit qu’à partir des moyens informatiques les élèves doivent savoir produire, avec des synthétiseurs et échantillonneurs, des sonorités de qualité précise pour les combiner ensuite. Des compositeurs "spectraux" ayant travaillé en ce sens, CHOWNING et RISSET, sont alors cités en exemples. La physique, effectivement, n’est pas en reste puisqu’il y est dit "À l’aide de l’ordinateur, un son (par exemple celui d’un instrument d’élève)  sera analysé". Les textes officiels d’éducation musicale fournissent donc les enjeux de ces apprentissages : rendre l’élève capable de mieux appréhender le monde sonore actuel, former l’individu (adolescent considéré comme futur adulte). Ces instruments et ces machines doivent permettre d’accéder aux métiers du son. Le programme est à la hauteur de l’enjeu !

Si l’année 1992 a été favorable à un rapprochement des sciences et de la musique, l’année 1994 l’est moins puisque le programme destiné en musique aux écoles primaires (B.O. n° 31 du 1er septembre) ne comprend plus, comme en 1947, une initiation au son. Le 14 septembre 1995, le Bulletin Officiel ignore, dans son nouveau programme musical pour les classes de seconde, la liaison interdisciplinaire avec la physique, énoncé quelques mois plus tôt. Rien n’est en revanche modifié du côté du physicien qui se retrouve à faire cavalier seul pour le programme d’acoustique de Seconde.

Quatre mois après le texte tronqué, de nouvelles directives surgissent ("Vers le nouveau collège - Un nouveau contrat pour l’école, décembre 1995") mais, cette fois pour les classes de sixième de Collège . On y découvre, avec surprise, une partie de l’ancien texte destiné aux élèves de Lycée : "Les technologies actuelles (ordinateur, générateur de sons, CD-Rom, CDI) s’ajoutent aux moyens traditionnels dont dispose le professeur de musique pour faire progresser sa classe. Les notions relatives au langage musical sont mises en valeur par l’utilisation de ces technologies. Timbre/Couleur : par la manipulation aisée des données physiques constitutives du son, les logiciels spécialisés contribuent à affiner la perception de ce paramètre. Une couleur peut être décomposée selon ses constituants (enveloppe, attaque, chute, épaisseur, fréquence) qu’il s’agisse de timbre isolés ou associés."

Le programme du "cycle central", des 5e et 4e, ne donne pas suite à ces considérations techniques et se borne à dire "Il convient de diversifier et d’enrichir la palette sonore déjà utilisée en classe de sixième", en exemple il cite les générateurs de sons (B.O. hors-série du 13 février 1997).

La physique au Lycée, sans changer ses contenus, précise, en 1996, que l’enseignement fera ressortir les relations transversales telles que "physique et musique" et "physique - arts-plastiques".

A l’orée du XXIe siècle, il ne fait aucun doute que la musique et la physique retrouvent des points communs de réflexion ; l’informatique, les moyens sonores de communications se multiplient et nécessitent une double connaissance. L’acoustique pour la construction des ponts, des véhicules, des maisons, l’isolation etc… complétée par la notion de musique donne une nouvelle raison de collaborer au sein des technologies nouvelles. L’éducation ne peut donc rester à l’écart de cette pensée commune. Elle passe par la formation, l’information de tous ceux qui ont en charge l’enseignement de ces domaines précis. Et à quoi bon étudier et connaître les phénomènes sonores si on ne peut sublimer ces connaissances et aboutir au plaisir de l’écoute avec une meilleure compréhension des œuvres musicales modernes ?


bullr.gif (939 octets)  BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE     index.gif (967 octets)

D. BEAUFILS : À propos d’acoustique musicale : la question des gammes, B.U.P. n°775, p.1107-1120.
P. BRETON, Histoire de l’Informatique, La Découverte, 1987.
R. DE CANDE : Dictionnaire de Musique, Nouvelle édition, Seuil, 1969.
HONNEGER : Sciences de la Musique, 2 vol., 1976.
E. LEIPP : Acoustique et Musique, Dunod, deuxième édition, chapitre X, 1984.
J.F. MATTEI : Pythagore et les Pythagoriciens, PUF, 1996, 128 p.
J. PIERCE : Le son musical : musique, acoustique et informatique, Belin, Collection l’Univers des Sciences, nouvelle édition, 1993, 242 pages.
M.J. VILCOSQUI : Musique/Informatique, : une relation physique, EPI, décembre 1996, p.171-177.