La douleur
Douleur 
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Mise à jour : 14/08/2001

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Questions-réponses
Les substances chimiques qui contrôlent la douleur :
les morphiniques
Constance Hammond, directeur de recherche, U29, INSERM 
Jean-Pierre Ternaux, Laboratoire Neurocybernétique cellulaire - UPR 90 - CNRS
La morphine et ses dérivés 

La morphine est un alcaloïde extrait de l’opium du pavot Papaver somniferum. Pour recueillir l'opium, on pratique en général des incisions superficielles dans les capsules des pavots pour que s'écoule un suc laiteux qui se dessèche, s'oxyde à l'air et prend alors une couleur brunâtre. Après malaxage, cette substance devient l'opium qui contient environ 10% de morphine. Elle constitue le plus vieux remède connu par l’homme pour lutter contre la douleur. Malgré une utilisation depuis de nombreux siècles, les mécanismes d’action de cette substance sur la modulation du message douloureux, au niveau cérébral, n’ont été découverts qu’au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. 

A partir de 1952, la synthèse chimique de morphine et de dérivés morphiniques est possible. La construction de molécules énantiomères (isomères optiques) permet d’obtenir des substances dont la structure tridimensionnelle est proche mais dont les effets pharmacologiques sont différents : 

  • Le lévorphanol, puissant analgésique;
  • L’étorphine, puissant analgésique;
  • Le dextrorphan est dépourvu d’effet analgésique 
Le principe actif de l'opium fut découvert par F. Sertuner (1805) et baptisé morphine en référence à Morphée le dieu grec des rêves.

Figure 3-2A : la morphine et un de ses agonistes (étorphine)
Figure 3-2B : les énantiomères de la morphines (lévorphanol, destrorphan)

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Mise en évidence de l'effet analgésique de la morphine

L’injection de morphine dans l’espace sous arachnoïdien, au niveau lombaire, chez le rat, induit une analgésie totale qui se traduit par l’absence de réponse aux stimulations nociceptives ( test de la plaque chauffante, pincement de la queue...). La transmission du message nociceptif est donc inhibée en présence de morphine. Ceci est clairement démontré par l’absence de signaux électriques enregistrés au niveau des cellules spino-thalamiques de la corne dorsale lors de la mise en jeu des fibres C. Cette action est spécifique puisque les messages véhiculés par les fibres A? et A? qui conduisent les informations somesthésiques ne sont pas affectés. 

Figure 3 – 3 expérience avec la morphine
Action de la morphine au niveau de la moelle épinière

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Comment la morphine exerce-t-elle son action sur le système nerveux ?

Si une molécule chimique agit sur l'activité de cellules, la règle générale est qu'elle est reconnue par ces cellules. La reconnaissance s'effectue par l'intermédiaire de récepteurs exprimés par la cellule. Ces récepteurs sont en général transmembranaires (mais peuvent être aussi nucléaires comme les récepteurs des hormones stéroïdes). Ce raisonnement a conduit quatre chercheurs à rechercher la présence de récepteurs de la morphine dans le système nerveux, à la surface des neurones. En poussant le raisonnement plus loin, un chercheur travaillant en Ecosse (Hans Kosterlitz) a eu l'idée suivante : si des cellules animales comme les neurones expriment des récepteurs pour une substance, la morphine, qui est d'origine végétale (et non pas d'origine animale) c'est que la morphine mime les effets d'une substance endogène fabriquée par l'organisme animal lui-même, une morphine endogène qui agirait sur les récepteurs opioïdes. Une telle hypothèse a soulevé un tollé général, et pourtant.... elle était juste. Hughes et Kosterlitz ont isolé en 1975 les deux premières endomorphines appelées enképhalines. Depuis plusieurs autres de ces morphines endogènes ont été isolées. 

Mise en évidence des récepteurs de la morphine : les récepteurs opioïdes

La mise en évidence, au niveau du système nerveux central, d’un récepteur spécifique aux opioïdes résulte d’expérience in vitro réalisées en 1973 par différents chercheurs de laboratoires situés dans différents pays : Lars Terenius en Suède, Candace Pert, Solomon Snyder et Eric Simon aux Etats Unis. 

Protocole expérimental : un homogénat de cerveau est incubé en présence d’étorphine radioactive. Après lavage du culot, on peut mesurer la radioactivité dans le culot qui constitue un index de la fixation d’étorphine sur les récepteurs membranaires. 

La même expérience réalisée en présence d’une concentration 100 à 1000 fois supérieure de lévorphanol non radioactif, qui présente des propriétés analgésiantes, provoque une diminution de la radioactivité liée à la fixation de l’étorphine radioactive. 

Au contraire, l’incubation de l’homogénat de tissu cérébral avec l’étorphine marquée en présence de dextrorphan qui ne possède pas de pouvoir analgésiant, ne modifie pas la quantité de radioactivité liée à la fixation de l’étorphine sur un récepteur spécifique. Ceci démontrait la présence de sites de liaisons stéréospécifiques des opioïdes dans le tissu cérébral. 

Figure 3-4 : la fixation des agonistes morphiniques sur les récepteurs opioïdes

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Découverte des morphines endogènes

John Hughes dans le laboratoire de Kosterlitz, décidant de vérifier l'hypothèse de ce dernier sur l'existence d'une morphine endogène, investit les abattoirs d'Aberdeen en Ecosse très tôt le matin pour y prélever des cerveaux de porcs. Ceux-ci sont ensuite ramenés sur sa bicyclette au laboratoire. La démarche expérimentale était la suivante : préparer des extraits de tissus cérébraux dans des solutions aqueuses et chercher le ligand endogène en étalonnant ces extraits sur le canal déférent de la souris, un petit canal conduisant les spermatozoïdes du testicule à la prostate. Dans ce tissu, la morphine agit sur des récepteurs spécifiques pour inhiber les contractions du canal. L'idée était que le ligand endogène devait produire le même effet. 

Hughes et Kosterlitz mettent ainsi en évidence des facteurs morphinomimétiques, deux petits peptides composés de cinq acides aminés chacun : 

- la Met Enképhaline : Tyr-Gly-Gly-Phe-Met 

- la Leu Enképhaline : Tyr-Gly-Gly-Phe-Leu 

Un peu plus tard, en 1977, Guillemin isole l'a et la b -endorphine qui sont les résidus 61-76 et 61-77 de la b -lipotropine (?-LPH), polypeptide de 91 acides aminés de faible activité lipotrope. Tous ces peptides possèdent une haute activité morphinique induisant des effets pharmacologiques de type analgésiant et se lient spécifiquement aux récepteurs aux opiacées. 

Figure 3.5 - Précurseurs des opiacés

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Les grandes voies enképhalinergiques du système nerveux central

L’utilisation des ligands radioactifs des récepteurs aux opiacées et d’anticorps spécifiques dirigés contre les molécules de Leu et de Met Enképhaline a permis de localiser dans le tissu nerveux les récepteurs aux opiacées et les neurones synthétisant les Enképhalines. 

Au niveau de la moelle épinière et du tronc cérébral, l’étude autoradiographique et immunohistologique montre que : 

  • Les récepteurs opioïdes sont situés au niveau des terminaisons axoniques des fibres C et sur les corps cellulaires des neurones ascendants, au niveau des couches superficielles de la corne dorsale, 
  • Les Enképhalines sont présentes dans des interneurones intrinsèques localisés à proximité des terminaisons axoniques des fibres C qui véhiculent le message douloureux. 
  • Les récepteurs opioïdes sont aussi présents dans la substance grise périaqueducale, ce qui justifie l'hypothèse selon laquelle la morphine modulerait l'activité des systèmes de contrôles descendants

 
Figure 3-6 : fixation de la morphine sur son récepteur

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La présence de récepteurs aux opiacées et d’interneurones à Enképhalines est également décelée dans d’autres régions du cerveau comme le système limbique qui joue un rôle important dans les sensations de plaisir. Cette localisation spécifique est à mettre en relation avec les effets euphorisant de la morphine qui sont observés lors d’administration à faibles doses. 

Les voies d'administration de la morphine en clinique

En pratique courante la morphine reste la molécule mère des opiacés. A douleur chronique, traitement chronique, régulier, préventif, la prise suivante devant précéder la réapparition de la douleur. Avant, la morphine était administrée à la demande (et encore) ce qui constitue une démarche irrationnelle et inhumaine. Les patients s'épuisaient et étaient plongés dans une détresse morale profonde. De plus comme ils réclamaient constamment de la morphine, l'entourage médical et familial s'affolait et avaient peur d'induire des phénomènes de dépendance. Maintenant, la morphine est donnée à intervalles réguliers de façon à supprimer à la fois l'apparition et la peur de la douleur. 

  • Voie orale. Après une absorption orale, la bio disponibilité est faible (20 à 30%) ce qui impose des doses orales relativement élevées pour obtenir une bonne efficacité. La demi-vie d'élimination est relativement longue (4 à 5 h). 
  • Voie rectale. La morphine existe aussi sous forme de suppositoires et la cinétique par voie rectale est proche de la cinétique orale d'où le même rythme d'administration. Cette voie est privilégiée dans les cas de cancers de l'œsophage ou au cours de chimiothérapies donnant des vomissements (émétisantes).
  • Voie parentérale. L'injection intramusculaire ou sous cutanée est réservée aux douleurs aiguës que ce soit pour une, deux ou plusieurs injections en quelques jours. Si on dépasse ce laps de temps le recours a la voie orale est préférable.
  • Voie péridurale. En unité de soins intensifs, la morphine peut être administrée en péridurale. En chronique, chez des malades intraitables par d'autres méthodes, un cathéter peut être installé en chronique et la morphine administrée ainsi en chronique.
Contrôle des effets secondaires sur la dépression respiratoire 

La dépression respiratoire est la principale crainte en administration aiguë de morphine, mais elle est totalement exceptionnelle voire inexistante lors des administrations chroniques. 

La dépression respiratoire, qui est à l'origine du décès des usagers de drogue en cas d'overdose, est due à l'action inhibitrice de la morphine sur les neurones bulbaires. En effet, les réseaux de neurones qui contrôlent le rythme respiratoire (mouvements de la cage thoracique) sont situés dans le bulbe rachidien. Ils expriment à leur surface des sites récepteurs des endomorphines. L'activation de ces récepteurs transmembranaires par la morphine entraîne un hyperpolarisation de la membrane neuronale et, à forte dose, elle provoque l'arrêt de l'activité du réseau et l'arrêt des mouvements respiratoires. Dans les cas d'overdose, un antagoniste des récepteurs de la morphine, la naloxone est administrée afin de déplacer la morphine de ses sites récepteurs et d'arrêter son action. 

Dans le cas des patients douloureux, l'incidence d'un tel phénomène est très faible pour deux raisons : 

  • l'administration orale et le fait que certains neurones des centres respiratoires bulbaires peuvent être activés par des stimulations nociceptives de sorte que l'arrivée de tels messages pourrait limiter la dépression respiratoire. 
  • Enfin la dose de morphine qui entraîne une dépression respiratoire est toujours supérieure à la dose analgésique.

 
Figure 3-7 : les molécules antagonistes de la morphine 

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Les problèmes de toxicomanie sont absents chez les patients douloureux sous thérapie morphinique chronique

Quels sont les problèmes de toxicomanie? 

Tolérance ou accoutumance

La tolérance consiste en une atténuation progressive des effets de la drogue. Il y a donc nécessité pour l'usager d'augmenter les doses pour obtenir le même effet. 

Dépendance physique

La sensibilisation ou tolérance inverse traduit l'appétence croissante pour la drogue que développent les sujets (certains plus que d'autres) au fur et a mesure de l'exposition répétée à la drogue. C'est le besoin impératif d'absorber le médicament faute de quoi il survient un malaise physique important : angoisse, soif, agitation, tachycardie, diarrhées voire choc grave. Ces malaises sont aussi d'ordre psychique. La dépendance ne se voit qu'aux moments de l'arrêt des effets de la drogue (entre deux prises) ou au moment de l'arrêt total de prise de drogue (sevrage). 

Dépendance psychique

Correspond à l'envie irrésistible de consommer une drogue afin d'en éprouver les effets pour en tirer du plaisir ou pour prévenir un inconfort. 

Cas des patients douloureux

L'accoutumance constitue rarement une entrave à l'emploi de la morphine chez les patients douloureux chroniques (cancéreux par ex) lorsque la morphine est administrée de façon régulière suivant un horaire fixe. 

En ce qui concerne la dépendance, les statistiques sont formelles, chez les cancéreux sans antécédents toxicomaniaques l'administration de morphine à horaires fixes n’entraîne pas de demande réitérée de la part de ces patients ce qui ne conduit plus l'entourage médical et familial à assimiler le patients à un toxicomane. 

Toutefois, malgré les recommandations de l'OMS (1987), on estime actuellement, à cause de ces peurs de toxicomanies, que 50 à 80% des cancéreux ne sont pas soulagés de façon satisfaisante. En ce qui concerne les enfants les données sont tout aussi accablantes. 



Institut national de Recherche pédagogique